1000 détenus administratifs font la grève de la faim. Le Premier Ministre décide de les plonger dans le sommeil pour détourner l’attention internationale. Mais les dormeurs palestiniens causent des insomnies au peuple israélien. Il est temps d’envoyer une émissaire dans le monde des rêves. Tel est le pitch du livret de Yonatan Levy mis en musique par Adam Maor pour répondre à une commande du Festival d’Aix-en-Provence et des Théâtres de la ville de Luxembourg.
 
Le sujet, sensible, pouvait se prêter à diverses interprétations. Intelligemment, Yonatan Levy et Adam Maor ont décidé de poser un regard décalé sur un conflit latent, préférant l’onirisme et un certain humour à un traitement plus sombre et réaliste. Il n’en demeure pas moins que rien n’est occulté de la situation dramatique installée depuis trop longtemps au Proche-Orient ; « Notre opéra, confie Yonatan Levy, peut-être vu comme la projection d’un traumatisme porté par les Israéliens. Les Palestiniens sont représentés à travers de prisme de la peur éprouvée par les Israéliens. »  Les crises d’épilepsie vécues la nuit par les enfants israéliens, qui se réveillent en parlant arabe, génèreront la décision d’infiltrer le monde du sommeil palestinien pour détruire la cellule terroriste des rêveurs lucides. C’est Nourit, l’assistante du Premier Ministre, qui a été choisie. Elle ne reviendra pas car les mille endormis ont construit une patrie libre et supraterrestre sans contraintes physiques, temporelles et étatiques.

Le voyage de Nourit vers le monde des endormis sous les regards de S. Chef du service général de la sécurité (David Salsbery Fry) et du cantor (Benjamin Alunni) © Patrick Berger / Artcompress
 
Pour son premier opéra, Adam Maor s’est laissé guider par son éducation musicale classique proche-orientale. Inspiration d’autant plus importante que l’œuvre est donnée en hébreu et que la musicalité de cette langue chantée ne peut se départir de cette culture. Sa partition est mâtinée de nuances tirées de la science-fiction. Le point d’orgue, sans conteste, est un final d’une belle dimension poétique lorsque Nourit découvre qu’il « ne peut y avoir d’autre patrie pour l’homme que celle qui se trouve entre une âme et une autre. » Le moment bénéficie du charme et de la voix délicate et envoûtante de Gan-ya Ben-gur Akselrod, la soprano israélienne passée il y a quelques années par la résidence de chant contemporain de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence. A ses côtés, Tomasz Kumiega campe un Premier Ministre tonitruant et David Slasbery Fry un sombre chef du service général de sécurité à qui il ne manque que le masque pour endosser le rôle de Dark Vador – les trucages informatiques lui procurent parfois la voix de celui-ci. Superbe prestation, aussi, que celle de Benjamin Alunni – passé par l’univers baroque et les Talents lyriques de Christophe Rousset – en voix du monde, ministre de l’agriculture, manifestant et cantor.

La soprano Gan-ya Ben-gur Akselrod est une interprète idéale de Nourit © Patrick Berger / Artcompress

Devant la scène, les huit musiciens de l’orchestre de chambre luxembourgeois United Instruments of Lucilin, spécialisé dans le répertoire contemporain, sont dirigés par Elena Schwarz, elle aussi ex-pensionnaire de l’Académie, qui détaille les nuances et les couleurs de la partition avec une lecture rigoureuse. Cette production entame désormais une vaste tournée ; son intérêt et le message d’espoir qu’elle porte devraient lui assurer le succès.
 
Michel Egéa

Maor : Les Mille endormis (création) – Festival d’Aix en Provence, Théâtre du Jeu de Paume, 6 juillet ; prochaines représentations les 8, 10, 12 & 14 juillet (à 20 heures) // festival-aix.com //
 
Retransmission direct le 10 juillet sur France Musique 
 
Photo : Dans le bureau du Premier Ministre (Tomasz Kumiega), ici avec son assistante Nourit (Gan-ya Ben-gur Akselrod), les mille endormis ont été rassemblés  © Patrick Berger / Artcompress