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Les Marionnettes de Salzbourg à Déjazet - Le charme opère - Compte-rendu

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Alliance étrange depuis des années que celles des mythiques marionnettes avec les silhouettes patibulaires conservées dans leur jus sur les parois de cet incroyable théâtre du Boulevard du crime, qui cultive sa fleur de misère. Ici, en inusables soldats de bois, les Marionnettes de Salzbourg nous font passer dans un univers troublant où l’on perd ses repères. Rien ne semble changer dans cet univers fantasmagorique né il y a cent ans dans la ville de Mozart : ni l’incroyable virtuosité des marionnettistes, penchés au dessus de la scène minuscule et que le salut final dévoile comme un retour à la réalité, ni le charme de ces contes presque hofmanniens, dont il est facile de dire qu’ils s’adressent seulement aux enfants. Pourtant, par delà la perfection des spectacles mozartiens -, encore l’impeccable Flûte enchantée cette année, idéale par son caractère populaire et fantastique -, la troupe cherche des directions nouvelles, s’orientant vers un répertoire plus difficile avec des bonheurs inégaux.

Force est d’avouer que leur Ring, compressé de 16 à 2 heures, ne parvient pas à transmettre l’ampleur du récit wagnérien, qui n’est décidément pas fait pour une transposition bon enfant. Si l’on accepte volontiers la présence des deux charmants comédiens chargés de raconter l’histoire, on supporte moins bien d’entendre les marionnettes parler, sur un ton jovial ou blagueur, puis tout de go se lancer dans les terribles airs qu’il a bien fallu garder. L’action se joue sur trois registres, et la synthèse ne se fait pas, même si quelques très bons moments sont à retenir, de l’intrusion des géants - en fait les comédiens eux-mêmes - sur la scène, à l’apparition du dragon en forme de tuyau chez les Nibelungen ou au très beau bûcher final. Et quel dommage, pour une fois que l’image d’Epinal avait le champ libre, que l’on n’ait pas ici joué le jeu impossible désormais sur scène : celui des cornes, des lances, des peaux de bêtes et de tout cet arsenal wagnérien importable par de vrais humains mais que les marionnettes auraient enlevé haut la main. On a préféré les moderniser platement, comme tout le monde. Dommage vraiment d’avoir raté l’occasion, d’autant que le choix de la version était le meilleur possible.

Heureusement le Songe d’une Nuit d’été offre lui un véritable enchantement, et son esthétique a été préservée, magnifiée même : du couple féérique Titania-Obéron, aux somptueux costumes et à la gestique fascinante, des artisans presqu’expressionnistes - plus à l’allemande que sortis de Stratford-sur-Avon -, des animaux parcourant la nuit, des elfes battant des ailes tandis que la sublime musique de Mendelssohn agit comme une baguette magique, tout n’est que grâce et chatoiements. Et comment résister au fabuleux Bottom, campé là aussi par un humain ; ce qui donne à sa transposition une saveur particulière !

Quelques bémols, cependant: pourquoi faut-il que des musiquettes brisent l’harmonie de Mendelssohn - au contraire le registre cirque adopté pour les artisans est lui, bien vu - et pourquoi les deux couples d’amoureux crient-ils sans cesse, tandis que Puck marmonne d’une aigre petite voix de vieillard? Le texte de Shakespeare n’en sort pas grandi. Mais lorsque le rideau tombe peu à peu, et que nos yeux se rouvrent, deux mains humaines descendent doucement des cintres, agitant Puck, deus ex machina de l’affaire : le charme de cette vision donne ainsi une fin en forme de point d’interrogation à ce rêve conté par des personnages en bois, un vrai sublimé de non être.

Jacqueline Thuilleux

Les Marionnettes de Salzbourg
Jusqu’au 16 décembre ; dernière du Songe d’une Nuit d’été le 12 décembre, dernière de la Flûte Enchantée le 16 décembre, dernière du Ring le 14 décembre 2012.
Paris – Théâtre Déjazet
Programmation détaillée sur : www.dejazet.com

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Photo : DR
 

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