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Les Indes galantes à Toulouse - Rameau s’envole avec Eden voyages - Compte-rendu
Sous une apparente facilité, Les Indes Galantes peuvent aisément être un piège pour le metteur en scène. A Garnier, en 1999, Andrei Serban avait déplié un livre d’images coloré, drôle et poétique, d’une moderne atemporalité. La chorégraphe attitrée de Laurent Pelly a, elle, choisi d’actualiser le propos de l’opéra-ballet de Rameau, usant d’un matériel scénographique qu’elle a compilé au fil des productions, dont l’humour décalé est comme l’empreinte. L’exotisme devient alors le prétexte à une enfilade d’indignations convenues entretenant avec le livret de Louis Fuzelier un lien aussi ténu que l’intrigue.
Le rideau se lève donc sur un Eden de feuillages verdoyants dans laquelle s’ébaudit une humanité en tenue adamique. L’audace se résume dans le travail chorégraphique réalisé avec ces corps nus – et qui fait grincer quelques dents dans le public. Sous la férule d’Amour, trois d’entre eux vont partir avec Eden voyages, aux mêmes couleurs orangées d’une certaine compagnie à bas coûts, explorer l’expression de ce sentiment universel aux quatre coins du globe, embarquant à bord d’un A 380 défilant en projection vidéo – réalisation de Stéphane Broc –, clin d’œil promotionnel à l’industrie locale.
Reconfigurée en intervention militaire contre le narcotrafic, la chute d’Huascar témoigne d’un sens consommé de l’efficacité dramaturgique. La troisième entrée, Les Fleurs, qui dans la version du manuscrit du Conservatoire de Toulouse présentée ici propose un air italien et supprime un quatuor, réussit remarquablement à impulser une dynamique dans un acte très peu théâtral. La dénonciation de la soumission des femmes dans la Perse d’aujourd’hui – l’Iran – démonte en même temps les contradictions de la mécanique fantasmatique des hommes, recouvrant leurs épouses d’une burqa, mais affublant l’objet du désir de la pulpeuse blondeur véhiculée par l’Occident. Les sauvages d’Amérique sont des militants écologistes qui cèdent sous la pression de promoteurs, et cèdent au consumérisme qui transsubstantie dans le four de la cuisine le maïs transgénique en rôti de bœuf et l’huile de palme en dessert – et quand il ne reste plus rien dans le placard, un sac commandé chez McDo.
La duplication des procédés comiques reste cependant souvent attendue : on rit certes, mais non en proportion de la profusion de moyens sollicitée. Surtout, un tel hétéroclisme des images fait complètement l’impasse sur la dimension poétique de l’opéra. Cette absence de poïétique et de réflexion esthétique se révèle de manière symptomatique dans la Chaconne finale, simple retour au bercail édénique inaugural. Là où Serban procédait à une récapitulation émouvante des personnages, en phase avec la structure à variation du morceau, Laura Scozzi se contente de la meubler de soubresauts chorégraphiques parfois parasites.
A rebours des maniérismes préconisés par un William Christie, Christophe Rousset séduit par une approche beaucoup plus franche des tempi, se gardant cependant des excès de robustesse que d’aucuns impriment à cette musique raffinée. Les attaques, parfois presque rudes, pourraient toutefois gagner en élégance. Les Talents Lyriques développent d’ailleurs une sapidité bienvenue dans les couleurs, qu’on ne leur connaissait pas assez jusqu’alors. Quant au continuo, sa subtilité confirme les qualités rythmiques et expressives du chef français, et se distingue par une appréciable proximité imitative avec la ligne vocale, mesurée et délicate dans l’ornementation.
Dans un souci pertinent de condensation, la distribution vocale fait appel à un effectif restreint. Hélène Guilmette (Hébé, Phani et Zima) exhibe un soprano clair, à l’excellente diction et un remarquable sens du style. Quelques légers décrochages dans les aigus, à l’émission souvent corsetée, écaillent cependant le début de la soirée. Judith van Wanroij ne démérite pas en Emilie puis Atalide, tandis que Julia Novikova, avec une intonation longtemps un peu basse, convainc davantage en Zima qu’en Roxane et Amour, même si le chant manque de la fluidité aérienne que requiert le rôle. Du côté masculin, seul se détache réellement l’Adario de Thomas Dolié, vigoureux et galbé. Aimery Lefèvre, Bellone et Alvar, accuse trop les graves. La légèreté de la voix de Kenneth Tarver, Valère et Tacmas, confine au stéréotype. Cyril Auvity déploie un timbre un peu plus nourri en Carlos et Damon. Vittorio Prato compose un Osman bellâtre, quand Nathan Berg, Huascar, s’enfonce dans les charbons d’un instrument caverneux dont on ne peut sauver que la présence indiscutable. Préparé par Alfonso Caiani, le Chœur du Capitole rivalise honorablement avec les formations spécialisées.
D’une cohérence et d’une efficacité incontestables, cette production, qui se range délibérément du côté de l’entertainment, sera reprise à Bordeaux en 2014, et à Nuremberg.
Gilles Charlassier
Rameau : Les Indes galantes – Toulouse, Théâtre du Capitole, le 4 mai, prochaines représentations les 11, 13 et 15 mai 2012.
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Photo : Patrice Nin
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