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Les Contes d’Hoffmann selon Vincent Huguet au Grand Théâtre de Bordeaux – Un nouvel Hoffmann embrase le Grand Théâtre – Compte-rendu

Comme son maître et mentor Patrice Chéreau, Vincent Huguet n'a pas attendu longtemps pour mettre en scène Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach. Œuvre gigogne, fascinante et infinie, tout entière dédiée au théâtre, lieu ultime de l'illusion, Les Contes d'Hoffmann parce qu'ils parlent d'amour et de la quête éperdue d'un idéal, sont une source d'inspiration inextinguible. Offenbach mourut avant d’avoir pu mettre le point final à son ouvrage et si les versions qui en ont été présentées ont toujours été source de questionnement – et en cela que d'évolution entre celle de Chéreau datée de 1974 et celle de Vincent Huguet qui comprend l'acte de Venise complet (grâce à Michael Kaye et Jean-Christophe Keck), jamais encore joué à la scène ! – elles n'ont jamais pu édulcorer la puissance de ce magistral opéra.
 
Pour Vincent Huguet, qui vient de s'attaquer au monstre lyrique qu'est Die Frau ohne Schatten de Strauss à Vienne et qui reviendra prochainement à l'opéra français avec la Manon de Massenet à la Bastille en 2020, la transposition ne s'est pas imposée. Ses Contes se déroulent comme chez Carsen dans un théâtre et mêle tout ensemble l'espace scénique  et les coulisses en allant jusqu'à répliquer au plateau l'escalier d’honneur à trois volées du Grand Théâtre de Bordeaux, imposant décor en soi, réalisé par l’architecte Victor Louis en 1780.
 

Photo © E. Bouloumié

L'illusion est donc à son maximum, le principe du théâtre dans le théâtre ayant pour but de brouiller les frontières entre ce qui se passe sur scène et ce qui se passe dans l'histoire qui nous est racontée, elle-même donnée lors d'une représentation d'opéra. Les échos lointains de « L'air du champagne » nous rappellent ainsi que la bande d'amis du poète Hoffmann assiste en coulisse à un spectacle, en l'occurrence Don Giovanni et que cet espace va permettre une mise en abyme parfaite. L'envers du décor, le trompe-l’œil, la face cachée, le champ et le hors-champ, l'artifice, tout n'est qu'un incessant voyage entre fiction et réalité, comme cet idéal féminin utopique que cherche désespérément à saisir Hoffmann et qui lui glisse entre les mains : trois femmes en une seule, trois chimères.
 
L'acte d'Olympia où une ravissante automate participe à un concours de chant et le perd, devrait limiter les ardeurs d'Hoffmann, pourtant sa seconde conquête, Antonia, est tout aussi fragile car celle-ci, passionnée jusqu'à la destruction, doit choisir entre le chant et la vie et que la séductrice Giulietta, en lutte contre le déclin de sa beauté, est l'exemple même de la traitresse. Ne lui reste donc que sa fidèle Muse/Nicklausse, parfait ange gardien, merveille de compréhension, de sagesse et d'attention.
Servi par une direction d'acteur précise et nerveuse, le spectacle est maîtrisé jusque dans ces fréquents changements de décors (signés Aurélie Maestre, les costumes revenant à Clémence Pernoud) et ces scènes de foules habilement animées. La lecture débordante d'énergie de Marc Minkowski (dont on se souvient de la version concertante donnée à Pleyel en 2012 avec Sonya Yoncheva, puis des reprises à Brême et à Baden-Baden en 2018 avec Olga Peretyatko et Jessica Pratt) est évidemment un élément essentiel, le chef n'hésitant pas à cravacher les membres de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine et les chœurs (préparés par Salvatore Caputo), et à les pousser jusqu'à leurs limites, notamment au second acte, sommet de la représentation au cours duquel l'ensemble des protagonistes a tout donné.
 

© E. Bouloumié
 
Dans le rôle-titre, écrasant, le jeune anglais Adam Smith (prévu en alternance avec Eric Cutler mais qui l'a finalement remplacé après sa défection) se livre à une performance physique et vocale de tout premier ordre, même si l'effort se fait sentir au dernier acte. Doué pour la comédie, son Hoffmann est un feu-follet, un poète sans doute écervelé mais d'une belle humanité et d'une réelle épaisseur – quelle belle idée que de lui avoir demandé d'accompagner lui-même au violon, l'air de Nicklausse « C’est l’amour vainqueur» au second acte – sa voix mordante et généreuse n'oubliant pas d'être nuancée.
Aude Extrémo prête son instrument chaud aux graves délicieusement ambigus aux personnages de Nicklausse, de la Muse mais également de la mère d'Antonia avec une belle conviction, comme Nicolas Cavallier formidable dans l’incarnation des Diables qu'il caractérise avec malice. Dans un numéro de transformisme très réussi, Marc Mauillon est inénarrable (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), suivi de près par Christophe Mortagne (Spalanzani), Jérôme Varnier (Luther et Crespel), Eric Huchet (Nathanaël/ Schlémil) et Clément Godart (Hermann/Wilhelm/Capitaine des Sbires).
Jessica Pratt enfin, malgré un second degré assumé, n'est pas inoubliable en Olympia dont elle a les notes, certes, mais pas la subtile mécanique ; elle est en revanche idéale en Antonia touchante, poétique et totalement habitée, portant le final à l'incandescence. Malgré sa tessiture plus centrale, Giulietta ne lui pose pas de problème particulier, si ce n'est de diction, moins fluide que dans les précédents actes.
Une soirée dont on ressort enthousiaste et groggy.
 
François Lesueur

Offenbach : Les Contes d’Hoffmann  – Bordeaux, Grand Théâtre, 21 septembre 2019 ; prochaines représentations les 24, 26, 29 septembre et 1er octobre 2019 // www.opera-bordeaux.com/
 
 
Photo © E. Bouloumié

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