Journal

​Les Contes d’Hoffmann selon Benjamin Prins au Theater Nordhausen – De l’esprit comme un diable – Compte rendu

Dans la bonne ville de Nordhausen, en Thuringe, certains spectateurs ont peut-être été un peu surpris de découvrir que, malgré des affiches annonçant Hoffmanns Erzählungen, c’est en fait à la version originale de l’ultime chef-d’œuvre d’Offenbach qu’ils allaient assister. Et que ce ne serait pas la vieille partition Choudens qui serait suivie, mais les différentes révisions qu’ont apportés plusieurs musicologues depuis un demi-siècle, avec certains airs qui semblent désormais indissociables des Contes d’Hoffmann, comme « Vois sous l’archet frémissant » de Nicklausse ou « L’amour lui dit : la belle » de Giulietta, mais aussi des pages plus rares, comme cet air de la Muse qui, au prologue, fait déjà entendre la mélodie qui précède « On est grand par les pleurs » de l’épilogue.

 

© Toni Burkhardt

Le dernier volet d’une trilogie

Et ils n’ont pu qu’être frappés par l’ingéniosité avec laquelle notre compatriote Benjamin Prins, directeur de leur opéra depuis quatre ans, a mis en scène cette œuvre aux multiples facettes. Ceux qui suivent son travail depuis plusieurs années voient ainsi se conclure une sorte de trilogie Offenbach dont les deux premiers volets avaient été conçus pour OperaZuid, avec un mémorable Fantasio en 2019, suivi d’un Orphée aux enfers en 2023. Et la réussite du Don Giovanni qu’il avait monté à Nordhausen en 2023 également n’est pas étrangère à la brillante idée qui guide cette fois ses Contes d’Hoffmann.
 

© Toni Burkhardt

 
Pendant une représentation de Don Giovanni

Dans cet opéra dont les trois héroïnes sont anéanties de diverses manières (Olympia est cassée, Antonia meurt, et Giulietta finit empoisonnée dans certains états de l’œuvre), qui est censé se dérouler pendant une représentation de Don Giovanni et où il est notamment question d’une chanteuse tuée par l’exercice son art, Benjamin Prins qui a, comme Lindorf, « de l’esprit comme un diable », lève d’abord le rideau sur Donna Anna relatant l’assassinat de son père, mais perdant la voix et s’écroulant après quelques mesures d’ « Or sai chi l’onore » : le spectacle est interrompu, un médecin monte sur scène, le rideau tombe. Et le prologue des Contes d’Hoffmann démarre dans un hôpital, la Stella étant alitée tandis qu’Hoffmann, son ami Hermann et « l’écolier Nicklausse » (en uniforme de collégien britannique, cartable sur le dos) espèrent pouvoir lui rendre visite. Chacun des trois actes reproduira cette disposition initiale, le lit étant occupé par Olympia à qui des yeux fournis par Coppélius viennent d’être greffés, par Antonia déjà bien malade, et devenant finalement une baignoire où la diabolique Giulietta feint l’innocence.

 

© Toni Burkhardt

 
Un timbre rappelant José Van Dam

Comme il se doit dans les théâtres de répertoire allemands, la plupart des rôles sont confiés à des membres de la troupe, non sans quelques invités extérieurs. Notre compatriote Thomas Morris campe avec sa verve habituelle les quatre valets (sauf Cochenille, car il est ici Spalanzani), et l’on regrette que, comme pour plusieurs autres airs réduits à un seul couplet pour que la soirée ne soit pas trop longue, il ne puisse chanter intégralement l’air de Frantz. Parmi les non-francophones, la palme du meilleur français revient incontestablement au superbe baryton-basse ouzbèke Alik Abdukayumov dans les quatre diables, avec un timbre velouté rappelant parfois José Van Dam. Invitée également, la mezzo Jana Marković, Giulietta vénéneuse et mère d’Antonia arborant un masque-tête de mort (Benjamin Prins a été l’assistant d’Olivier Py…). Tous les autres, on l’a dit, viennent de la troupe : la basse Thomas Kohl, digne Crespel ; le baryton Florian Tavic, qui ajoute à ses emplois « normaux » (Hermann, Schlémil) Cochenille en voix de fausset ; la mezzo Rina Hirayama, excellente actrice en Muse/Nicklausse, à qui l’on reprochera seulement parfois un léger manque de volume ; les sopranos Yuval Oren, qui n’a hélas pas tout à fait la virtuosité ni les suraigus d’Olympia, et Julia Ermakova, fort belle Antonia ; et surtout le ténor Kyounghan Seo, qui parvient à caractériser différemment Hoffmann à chaque acte, alcoolique en sevrage au prologue, étudiant transi pour Olympia, créateur affirmé chez Antonia, libertin chez Giulietta ; mais comment, avec une voix aussi claironnant et apparemment inépuisable, le chanteur peut-il à ce point négliger sa diction ?
 

Julian  Gaudiano © DR

La représentation du 14 novembre était dirigée par le Germano-italien Julian Gaudiano, mais l’orchestre avait bénéficié de sa préparation par le chef Gábor Hontvári, qui a activement participé à l’élaboration de cette version de la partition. On espère que l’achèvement des travaux du théâtre, prévu pour septembre 2026, permettra bientôt à l’orchestre de Nordhausen de se faire entendre non plus relayé par des micros, mais dans la même salle que les artistes.

Laurent Bury
 

Offenbach : Les Contes d’Hoffmann – Nordhausen (Allemagne), spectacle créé le 26 septembre 2025. Représentation du 14 novembre 2025

 

Partager par emailImprimer

Derniers articles