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​Les Archives du Siècle Romantique (63) – Quand Berlioz prenait la défense de La Vestale et faisait ses débuts de critique musical (1823)

Le 9Festival Bru Zane Paris, qui se prolonge jusqu’au 29 juin, est riche en beaux rendez-vous lyriques. Après la prenante Hulda de César Franck et la délectable Phryné de Saint-Saëns, on attend en effet une version de concert de La Vestale de Gaspare Spontini (1774-1851) le 22 juin au théâtre des Champs-Elysées. Six ans après Olympie, en ouverture du 4Festival Bru Zane, le Palazzetto revient à un compositeur qui connut une période faste en France durant le Premier Empire. Dédiée à l’impératrice Joséphine, La Vestale (sur un livret de Victor-Joseph-Etienne de Jouy) fut créée le 15 décembre 1807 à l’Opéra de Paris (salle Montansier), avec un énorme succès qui se répandit vite en Europe. Au XXe siècle, l’incarnation que Maria Callas offrit en 1954 du personnage de Julia à la Scala, dans ce qui constituait la première mise en scène de Luchino Visconti, a remis en lumière un ouvrage qui reste toutefois rarement programmé.
 

Gaspare Spontini (1774-1851)

La soirée du 22 juin n’en a que plus d’intérêt, ce d’autant que, quatre ans après un passionnant Faust de Gounod dans sa version première, Christophe Rousset est à nouveau au pupitre. Habitué des terres baroques, le patron des Talens lyrique excelle aussi dans la musique du siècle romantique ; il promet d’enflammer la partition de Spontini avec le concours d’une distribution remarquable, menée par la soprano lettone Marina Rebeka, luxueusement entourée de Stanislas de Barbeyrac, Tassis Christoyannis, Aude Extrémo, Nicolas Courjal et du Chœur de la Radio flamande. Une équipe que l’on retrouvera dans l’enregistrement réalisé en parallèle pour la collection Opéra français du PBZ.
 
Avec cette Vestale, les Archives du Siècle Romantique se souviennent qu’en 1823, une représentation de l’ouvrage de Spontini à Paris donna l’occasion à un jeune musicien de vingt ans de livrer son tout premier article de critique musicale. Il se nommait Hector Berlioz. Le 12 août 1823, courroucé par la critique injuste de La Vestale qu’il avait lue dans le journal Le Corsaire, celui qui allait bientôt entamer la composition de sa Messe solennelle, adressa un lettre ouverte à cette publication. Ce texte ouvrait quatre décennie d’activité journalistique (1) pour Berlioz et se révélait d’emblée tout à l’image de son signataire, entier et passionné.
 
Alain Cochard    

 

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POLÉMIQUE MUSICALE
Par Hector Berlioz
 
Monsieur le Corsaire,
Seriez-vous devenu ultra-dilettante ? Il faut bien que cela soit, puisque dans votre feuille du 10 de ce mois vous avez inséré un dialogue entre un bouffonniste et un amateur de l’Opéra, que vous nommez Crifort, par lequel on veut prouver que La Vestale serait mieux placée au Théâtre-Italien qu’à l’Opéra. Comment pouvez-vous, M. le Corsaire, laisser avancer une pareille proposition ?
Sans doute que le rôle de La Vestale n’est pas joué convenablement ; sans doute que la marche triomphale est toujours dérangée par cette maudite grosse caisse qui frappe hors de mesure, parce qu’elle est trop loin de l’orchestre pour qu’elle puisse l’entendre ; sans doute que dans plusieurs endroits de la pièce l’orchestre accompagne trop fort : mais pourquoi le grand rôle est-il mal rempli ? Parce que ce n’est plus Mme Branchu qui le joue ; et il est douteux que Mme Pasta, malgré son grand talent, puisse approcher de notre tragédienne lyrique dans ce genre de musique. Pourquoi crie-t-on à l’Opéra dans certains passages ? Parce que le diapason de l’Opéra est d’un ton plus haut qu’il ne devrait être. Est-ce M. Levasseur qui ne crie pas, il est vrai, qui est capable de remplacer Dérivis et de chanter sans roulades l’épouvantable final du deuxième acte ?
 
Caroline Branchu dans la Vestale © Palazzetto Bru Zane

Pourquoi l’orchestre fait-il tant de bruit ? Parce que les partitions de Spontini sont trop chargées ; et l’orchestre bouffon ne les exécuterait piano, que parce qu’il est de moitié moins nombreux, ou qu’il supprimerait les trois quarts des parties, pour mieux laisser dominer les cadences et les ports de voix de García.
Il faudrait un peu approfondir avant de juger, il faudrait lire les partitions pour savoir si c’est la faute de l’orchestre ou du compositeur, quand elles font trop de bruit ; et voilà ce que ne veulent pas faire vos dilettanti fanatiques. Oui, fanatiques ; et je n’en veux donner pour preuve que ce que je leur ai entendu dire à la dernière représentation du Mariage de Figaro. L’un disait en entrant, à un de ses amis, « Je ne viens aujourd’hui que pour tuer le temps, c’est du Mozart. »
Celui-là est un Rossiniste ; un moment après s’engage une conversation avec un Mozartiste ; elle tombe sur Gluck. « Ah ! Gluck, dit-il avec un air dédaigneux, je ne parlais pas de celui-là, parce qu’il n’a point fait de musique ; il n’a jamais écrit que du plain-chant. » Voilà ce qui s’appelle juger ! Et il en était de même des décisions portées sur beaucoup d’autres compositeurs. Le Rossiniste parlait de l’opéra de Virginie dans lequel il avait découvert, disait-il, un air qu’il trouvait assez bien. C’est fort heureux, et M. Berton serait ravi d’entendre applaudir sa pièce par un amateur aussi capable d’en juger.
Eh ! qui pourrait nier que tous les opéras de Rossini pris ensemble ne sauraient supporter la comparaison avec une ligne de récitatifs de Gluck, trois mesures de chant de Mozart ou de Spontini et le moindre chœur de Lesueur ! Du moins c’est mon avis, et je ne suis pas fanatique de la musique française.
Agréez, etc.
HECTOR B……

 

(1) La Critique musicale de Berlioz est disponible en 10 épais volumes, publiés par la Société Française de Musicologie / www.concertclassic.com/article/tome-10-de-la-critique-musicale-de-berlioz-parachevement-du-grand-oeuvre-compte-rendu  

Spontini : La Vestale (version de concert)
Marina Rebeka, Stanislas de Barbeyrac, Tassis Christoyannis, Aude Extrémo, Nicolas Courjal, David Witczak
Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
22 juin 2022 – 19h30

www.theatrechampselysees.fr/saison-2021-2022/opera-en-concert-et-oratorio-1/la-vestale
 
9ème Festival Bru Zane Paris, jusqu’au 29 juin 2022
bru-zane.com/fr/festival/9-festival-palazzetto-bru-zane-paris/#
 
Photo © Académie de France à Rome - Villa Médicis

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