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Léo Vermot-Desroches et Yun-Ho Chen / « C’est la faute à Werther » au Centre de Musique de Chambre de Paris/Salle Cortot – Le romantisme allemand en majesté – Compte-rendu
Le bonheur commence dès 19h30 au Centre du Musique de Chambre de Paris ! Il vous reste encore trois dates (3, 4 et 5 février) pour profiter d’une soirée musicale d’exception sous le signe du romantisme allemand. On a plus d’une fois salué dans nos colonnes le travail que Jérôme Pernoo mène à la salle Cortot depuis presque sept ans, mais jamais sans doute, au sortir d’une soirée du CMCP, on n’avait éprouvé un sentiment de plein aboutissement comparable à celui suscité par la réunion du récital du ténor Léo Vermot-Desroches et du spectacle construit autour du Quatuor avec piano op. 60 de Brahms : « C’est la faute à Werther ».
Ténor à suivre
La soirée s’ouvre par un programme réunissant les Fünf Lieder op. 40 et les Sechs Gedichte und Requiem op. 90 de Robert Schumann, deux cahiers distants d’une décennie très exactement (1840 et 1850) entre lesquels s’insèrent trois pièces de Clara. D’une parfaite logique musicale et poétique, l’ensemble a toutefois besoin du chanteur idoine pour pleinement révéler sa cohérence et sa force d’émotion. Léo Vermot-Desroches aura été l’interprète de la situation : formé par Valérie Guillorit au CNSMDP, passé par l’Académie Jaroussky (institution partenaire du CMCP), double premier prix (Opéra et Mélodie) du toujours très avisé Concours international de Marmande l'an dernier, le jeune ténor n’est sans doute pas encore très connu du grand public, mais son agenda, déjà bien rempli, prouve que pas mal d’organisateurs l’ont repéré (il figurera entre autres dans la Couronnement de Poppée de l’Académie de l’Opéra de Paris, à Paris et Dijon en mars, et dans la Salomé aixoise cet été). On ne court pas grand risque à parier qu’une très belle carrière l’attend à en juger par le niveau de sa prestation à Cortot.
Justesse du sentiment, art de diseur
Les charmantes Märzveilchen, que Léo Vermot-Derosches restitue avec toute la fraîcheur voulue, peuvent tromper en ouverture de l’Opus 40, mais ce recueil sur des poèmes d’Andersen se révèle d’une noirceur terrible ; le chanteur sait en traduire la substance, d’une voix souple, très homogène, assise sur des graves profonds. Muttertraum et ses menaçants corbeaux, Der Soldat – absolument déchirant ici –, Der Spielmann et Verratene Liebe sont vécus avec une justesse d’expression, un rejet de toute surcharge, de tout surlignage qui permettent d’atteindre la cible en plein mille. Et avec quel subtil art de diseur ... On est mêmement séduit par trois superbes lieder de Clara Schumann (sur des poèmes de Heine et Rückert) ; par le parfum d’errance, de mort de Volsklied et de Sie liebten sich, la douleur de la séparation dans Oh weh, des Scheidens.
Quand deux intelligences musicales se rencontrent ...
Le sens de la miniature du chanteur, son acuité, son instantanéité dans le travail de caractérisation ne convainquent pas moins dans les Sechs Gedichte und Requiem op. 90, de l’allure joyeuse, confiante du premier morceau à la conclusion tout à la fois suppliante et glorieuse du Requiem. Entre ces deux extrêmes, que d’art pour donner à ressentir la fragilité de la beauté tôt vouée à se défaire (fabuleuse Meine Rose !) ou l’insidieuse montée de l’angoisse (Der schwere Abend). La réussite est totalement partagée car Léo Vermot-Desroches peut compter sur l’écoute et la complicité de Yun-Ho Chen – une pianiste formée par Anne Le Bozec entre autres, et passée elle aussi par l’Académie Jaroussky – dont la palette sonore infiniment nuancée fait continûment corps avec les moindres intentions de son partenaire. Quand deux intelligences musicales se rencontrent ...
Quatuor augmenté
Le romantisme allemand est d’emblée en majesté au Centre de Musique de Chambre ; il le demeure durant une seconde partie occupée comme de coutume par un spectacle bâti autour d’une œuvre de musique de chambre. Réalisation d’un Brahms marqué, comme tant d’autres artistes avant lui, par les Souffrances du jeune Werther de Goethe, le 3e Quatuor avec piano en ut mineur (achevé en 1875 au terme d’une genèse de deux décennies) était un « candidat » tout trouvé pour le CMCP. A partir de cet Opus 60, Jérôme Pernoo a imaginé (avec le concours de Camille Dugas, Adeline Millet et Marianne Bécache) un « quatuor augmenté », selon sa définition, au cours duquel, entre les mouvements de la partition de Brahms, se glissent des pages de Beethoven (Trio à cordes op. 9 n° 3, 1er mvt), Schubert (Andante con moto du Trio op. 100), Robert Schumann (Kreisleriana n° 1) et Clara Schumann (Romance op. 11 pour piano, dans un bel arrangement pour alto et piano par Jérôme Ducros). Des morceaux qui entrent en résonance avec de brefs extraits du roman de Goethe (fort bien dits par la voix off de Jan Peters).
La lumière de Réconciliation
« C’est la faute à Werther » : sous le clin d’œil à la célèbre chanson de Gavroche, se cache un spectacle unique en son genre, comme seul le CMCP sait en concevoir, d’un équilibre parfait entre musique et paroles. Il renouvelle et rafraîchit l’approche d’un thème central de la littérature romantique, en se tenant bien loin des niaiseries et pleurnicheries auxquelles l’admiration souvent complexée des Français pour le romantisme germanique a pu fournir matière.
On ne peut qu’être conquis par la beauté, la sobriété visuelle du spectacle, tout en ombres chinoises jusqu’à l’illumination de l’Andante et du finale du quatuor de Brahms, deux épisodes que J. Pernoo a pris le parti d’associer non pas au fameux ouvrage de Goethe, mais à son tardif poème Réconciliation ; partant « C’est la faute à Werther » se referme de la plus positive et radieuse façon - « Et le cœur, ainsi soulagé, s’aperçoit qu’il vit encore ... »
Quatre instrumentistes d’exception
Courrez découvrir – éprouver surtout – un moment magique servi par quatre jeunes musiciens d’exception. La partition est comme toujours au CMCP jouée par cœur afin de permettre aux exécutants de coller aux exigences de la mise en scène, de déplacements pleinement justifiés par la musique (quelle belle image que ce conciliabule des cordes pendant le scherzo ou le finale de l’Opus 60). Les trois archets, Luka Ispir (violon), Paul Zientara (alto) et Johannes Gray (violoncelle), se prêtent au jeu avec une vibrante ardeur – et un fini instrumental irréprochable. Au piano, Ionah Maiatski, 20 ans, se révèle être un chambriste accompli. Sa sonorité, d’une plénitude et d’un densité peu ordinaires, trouve aussi à s’illustrer dans la première des Kreisleriana. Aussert bewegt : moins de trois minutes de musique qui, par leur magnétisme, suffisent à signaler une personnalité rare ...
Fidèle a ses habitudes, le Centre de Musique de Chambre a présenté durant la pause un jeune compositeur-interprète : Pierre Landy. Après une introduction pleine d’humour, il a offert une belle interprétation de sa séduisante et concise Suite miniature pour violoncelle seul dont le labyrinthique Prélude et l’ondoyante et laconique Gigue encadrent une Aria plutôt fiévreuse.
Alain Cochard
Léo Vermot-Desroches et Yun-Ho Chen / « C’est la faute à Werther » - Paris, Salle Cortot, 27 janvier ; prochaines représentations les 3, 4 et 5 février 2022 – 19h30 & 21h // www.centredemusiquedechambre.paris/
Photo © Ania Gruca
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