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​L’Ensemble I Giardini interprète Caroline Shaw au Festival Musique(s) Rive Gauche – Dans les profondeurs du souvenir – Compte-rendu

Pas de jaloux ! A l’exception d’une pièce pour violoncelle et piano dont le Festival Musica Strasbourg avait l’exclusivité, Paris, grâce au 1er Festival Musique(s) Rive Gauche, aura pu entendre exactement les mêmes œuvres de Caroline Shaw, par les mêmes interprètes, que la manifestation alsacienne. Quatre jours après la création française de la Partita for 8 Voices par l’ensemble Roomful of Teeth, la salle Colonne accueillait l’ensemble I Giardini (Pauline Buet, violoncelle ; David  Violi, piano, Léa Hennino, alto ; Thomas Gautier, violon ; Eriko Minami, percussions) pour « Shaw total », un programme uniquement constitué de pages de musique de chambre de la compositrice américaine (née en 1982).
 

Caroline Shaw © Kait Moreno
 
En septembre 2020, un concert de préfiguration de Musique(s) Rive Gauche, confié à I Giardini, avait permis de découvrir en création française Thousanth Orange, magnifique pièce de 2018 pour quatuor avec piano inspirée de l’univers des natures mortes. Une partition envoûtante, construite à partir d’une progression de quatre accords. On l’aura encore plus encore savourée cette année, entourée d’autres réalisations de Caroline Shaw (toutes en création française). D’un bout à l’autre du concert une atmosphère très onirique prévaut ; la musique procure la sensation de plonger dans les profondeurs d’un souvenir lointain que les strates du temps voilent, sans en atténuer la force.
 

Pauline Buet & Eriko Inami interprètent Boris Kerner © Maryana Lemak

Caroline Shaw possède un sens affirmé de la couleur instrumentale, une conscience des timbres qui s’illustrent dès Limestone and Felt (2012, pour alto et violoncelle) où Léa Hennino et Pauline Buet (photo) jouent à plein du frottement de textures. Avec In manus tuas (2008) le violoncelle est seul en scène (quelques ponctuations vocales sont demandées à l’interprète). Un thème issu d’un motet de Thomas Tallis a servi de point de départ à une composition dont P. Buet, très concentrée, restitue la cérémonielle étrangeté avec une vaste palette expressive.
Caroline Shaw aime jouer avec les sons, avec le matériau sonore. Dans Boris Kerner (2012), la science – la théorie des trois phases du trafic pour être précis – inspire un morceau pour violoncelle et ... pots de fleurs ! L’installation des pots peut paraître un brin enfantine au premier abord, mais ne relève en rien du gadget. Il n'est que d’écouter la formidable précision avec laquelle P. Buet et Eriko Minami restituent une partition d’une suprenante et électrisante mobilité pour le comprendre.
 

Caroline Shaw (de dos) et I Giardini © Cyril Faure
 
Dans les profondeurs du souvenir ... Si la formule vaut pour l’un des titres du programme plus que les autres, c’est sûrement Gustave Le Gray (2012), pièce pour piano solo construite à partir et autour de la Mazurka en la mineur op. 17/4 de Chopin. David Violi s’empare avec une rare plénitude de toucher d’une partition qui se mue sous ses mains en un bouleversant voyage au cœur de l’intime. L’éclairage qu’elle apporte à Thousanth Orange, placée immédiatement après, permet de mieux percevoir l’imaginaire empli de réminiscences et de secrets de Caroline Shaw. La compositrice est présente au concert et y prend part en conclusion pour interpréter And So, une chanson tirée d’un triptyque initialement conçu pour Anne Sofie von Otter. Un point d’orgue, tout de charme et de simplicité, à l’image d’une jeune créatrice dont a n’a pas fini d’entendre parler.

Vivement 2022 qui verra la sortie d’un CD Shaw (programme identique à celui du concert) par I Giardini chez Alpha !
 
Alain Cochard

Paris, Salle Colonne, 19 septembre 2021
 
Photo © Cyril Faure

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