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L’Empereur d’Atlantis de V. Ullmann à Lyon - Glaçante ronde - Compte-rendu

Inutile de s’appesantir sur l’horreur du parcours de Viktor Ullmann (né en 1898), de sa déportation en 1942 vers Terezin et son assassinat dès son arrivée à Auschwitz deux ans plus tard. Compositeur reconnu, directeur d’opéra et chef d’orchestre, il ne sut pas comme son maître Schoenberg, admettre la fin du monde qu’il avait connu, et prendre à temps le chemin salvateur des Etats-Unis. D’Allemagne, il retourna en 1933 à Prague, où la solution finale l’attendait.

Celle qu’il expose dans L’Empereur d’Atlantis, écrit dans le monde kafkaïen de Terezin, immonde simulacre de Cité des Arts, est une fable grotesque sur la folie hystérique du régime-panzer qui écrasait toute forme d’humanité autour de lui, avant de laminer le conteur. Au point de dégoûter la Mort elle-même, si écœurée de ce que les règles du jeu ne soient plus respectées, qu’elle met sa faux en grève. Heureusement sauvée grâce à la transmission qu’en fit le compositeur à des amis, avant de partir pour Auschwitz, l’œuvre est peu donnée, mais elle n’est pas inconnue en France, où l’Opéra Comique la créa en 1998, après sa première mondiale à Amsterdam en 1975.

Courte (1 heure), resserrée sur une action symbolique où ne paraissent que des fantoches, cette ronde macabre où il entre du Weill, du jazz, des bouffées bergiennes et même mahlériennes, sans parler de l’allusion au Deutschland über alles est à la fois étouffante et incisive, ne tentant même pas le tragique tant la dérision l’emporte. C’est au scalpel qu’Ullmann l’a écrite, et c’est au scalpel que Richard Brunel a monté cette production de l’Opéra de Lyon, coréalisée par la Comédie de Valence (qui l’a présentée en novembre dernier) et le Théâtre de la Croix-Rousse où on la retrouve à présent.

A la fois respectueux du climat berlinois du texte et de la musique, mais capable de garder une distance salutaire avec l’expressionnisme allemand, lequel doublerait abusivement le caractère caricatural de l’histoire, surtout pour un public français, le metteur en scène a esquissé sans l’étaler la dérisoire panoplie d’outils dont se repait l’empereur fantoche : le haut-parleur, ici représenté par une myriade de téléphones, le tambour, devenu femme-vopo, un Arlequin en gentil clown, sans maquillage outrancier, et une mort très faustienne en son long manteau noir, plus reposante qu’effrayante.

Avec un orchestre fantôme répandu sur le plateau, avant de monter sur une véritable estrade à l’arrière plan, en fantomatique évocation des mascarades musicales de Terezin. Le canadien Jean-Michel Lavoie dirige ici avec une éloquente alacrité les quinze musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, requis par la partition, et les six comédiens chanteurs emboîtent leurs talents comme les maillons d’une chaîne : de Lucy Schaufer en tambour à Rui Dos Santos en Arlequin, et d’Ivi Karnezi en garçonne à Jean-Baptiste Mouret en haut-parleur, autour du perturbant Christian Miedl, hagard et terrible empereur Overall, qu’il a déjà chanté à Munich, et de l’admirable Stephen Owen en Mort, le seul vraiment poignant de cette danse macabre qu’Ullmann a mise en scène à la veille de la vivre. Terrifiant, car cette fois la musique épouse intimement l’Histoire autant qu’elle l’interprète ou la préfigure.

Jacqueline Thuilleux

Ulmann : Der Kaiser von Atlantis – Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse, 12 février 2013
Pour cette œuvre rare, il convient d’apprécier à sa juste valeur le très beau petit livre-programme qui l’accompagne, riche d’une remarquable documentation, autour du livret de Peter Kien, lui aussi gazé à Auschwitz.

Site de la Fondation Viktor Ullmann : http://www.viktorullmannfoundation.org.uk

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Photo : Jean Louis Fernandez
 

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