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​Le Trio Pantoum aux Bouffes du Nord / La Belle Saison – Du feu et du style – Compte-rendu

Directeur artistique de La Belle Saison, Antoine Manceau (1) avait vu juste en décernant le Prix Belle Saison au Trio Pantoum à l'issue du Concours de Musique de Chambre de Lyon 2023 – compétition à laquelle sa structure est associée depuis 2018. Quelques mois plus tard, le trio faisait partie des lauréats du Concours de l’ARD à Munich et, depuis, s’affirme un peu plus à chaque apparition parmi les meilleures formations chambristes de la nouvelle génération.
 

 
Pour fêter la sortie d’un premier enregistrement

 
Le succès n’aura toutefois pas conduit les Pantoum à précipiter les choses en matière discographique puisqu’ils auront attendu le mois dernier pour livrer leur premier enregistrement, chez La Dolce Volta (1) : coup d’essai, coup de maître ! Pantoum oblige, leur disque comprend le Trio de Ravel, dense, expressif et – les interprètes le revendiquent – « d’une pâte sonore quasi orchestrale ». Elle le aide à traduire la complexité d’une musique écrite sous les menaçantes nuées de l’été 1914. Plutôt que de jouer la carte française d’un bout à l’autre, les instrumentistes ont préféré se tourner ensuite vers la musique russe de la fin du siècle romantique avec le Trio n° 1 op. 32 d’Anton Arensky, d'une approche tout aussi aboutie, avant de conclure sur un visage plutôt ludique de la création contemporaine : Emojis, Likes and Ringtones (2018) du Tchèque Miroslav Srnka (né en 1975).

Charme d’un compositeur en devenir
 
Hugo Meder (violon), Bo-Geun Park (violoncelle) et Kojiro Okada (piano) étaient réunis il y a peu aux Bouffes du Nord, dans le cadre d’une soirée Belle Saison, pour fêter la sortie de leur disque. Seul point commun avec ce dernier, le Trio en ré mineur d’Arensky figurait au cœur du programme, entouré du Trio op. 24 de Mieczyslaw Weinberg et du Trio élégiaque n° 1 de Rachmaninov, placé en ouverture. Bien qu’éloigné d’un peu plus d’un an seulement du Trio élégiaque n° 2, marqué par le choc provoqué par la mort de Tchaïkovski, le Trio en sol mineur apparaît de nature bien différente ; œuvre d’un adolescent de 18 ans, d’un compositeur en devenir ... Sans surcharger le propos, les Pantoum savent faire entendre les prémices dont la partition (d'un seul tenant) est porteuse et épouser les caractères de ses nombreuses sections avec beaucoup de naturel. Et un irrésistible charme !
 

© Clément Pimenta
 

Une interprétation vivante et complice
 
Après l’élève, le professeur : Arensky fut en effet l’un de ceux avec lesquels Rachmaninov étudia au Conservatoire de Moscou. Le Trio op. 32 demeure la partition chambriste la plus célèbre de son auteur. Russe certes, mais d’abord très marqué ici par l’influence de la musique allemande. Comme dans leur enregistrement, les interprètes veillent à ne pas forcer l’expression et s’attachent à faire ressortir les influences stylistiques (de Mendelssohn et Schumann) dans une interprétation vivante et complice où les timbres fusionnent idéalement.
 
Vertigineux corps à corps
 
Changement de climat enfin avec le Trio op. 24  de Weinberg, seul ouvrage du genre de son catalogue, mais pur chef-d’œuvre né dans l’URSS de 1945. Le contexte historique, tout comme l’hommage que l’auteur rend au Trio op. 8 de son ami Chostakovitch aident à en comprendre l’atmosphère. Tension, violence : pas question de demi-mesure, de prudence dans une pièce aussi exigeante musicalement que physiquement. Les Pantoum s’engagent à plein dans cette cyclothymie musicale, saisissante par ses plongées dans de funèbres et angoissantes étrangetés, comme par ses contrastes violents, ses emportements rageurs, ses terrifiantes morsures. Vertigineux, le corps à corps entre la partition et ses interprètes, révèle une cohésion absolue et une autorité du propos que l’on n’a pas l’occasion de saluer tous les jours. Magistral !

Avis aux mélomanes suisses : ils auront le bonheur d’entendre le Trio Pantoum le 28 juin au Festival Lucens Classique, avant que les musiciens ne soient au rendez-vous du Festival de Nohant, dès le lendemain, dans un alléchant programme Schubert-Arensky.
 
Alain Cochard
 

(1) À propos de La Belle Saison : www.concertclassic.com/article/la-belle-saison-des-projets-dartistes-pour-un-projet-davenir
 
(2) "Modern Times" - La Dolce Volta : LDV 145 

Paris, Théâtres des Bouffes du Nord, 5 mai 2025
 
Agenda du Trio Pantoum : www.triopantoum.com/agenda
 
Festival de Nohant : www.concertclassic.com/concert/trio-pantoum-musique-de-chambre
 

Photo © Clément Pimenta

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