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Le Tour d’écrou à l’Opéra de Tours – Un Britten hitchcockien - Compte-rendu

De la nouvelle Le Tour d’écrou de Henry James, Myfanwy Piper et Benjamin Britten ont tiré, en 1954, un opéra de chambre où la densité de l’écriture le dispute au sentiment d’angoisse et de mystère. Cette atmosphère est parfaitement rendue par la mise en scène de Dominique Pitoiset dans un décor unique d’intérieur de banlieue anglaise des années 60. Un mobilier cosy réduit à sa plus simple expression entre fauteuils, table, buffet, et un piano droit constitue une scénographie dont la seule ouverture – une baie vitrée et un balcon fermé par un mur couvert de thuyas – permet aux personnages de pénétrer ou de s’extraire d’un véritable huis clos mental. La subtilité et l’économie de l’ensemble, le raffinement des éclairages de Christophe Pitoiset, entretiennent un climat fantastique entre chien et loup, propice à l’ambiguïté.
 
La distribution se hisse à la hauteur du propos : la gouvernante d’Isabelle Cals, touchante, en état de grâce, stylistiquement parfaite, sait susciter un climat de trouble psychologique et laisse planer toutes les interprétations possibles. A son côté, Hanna Schaer, en pleine forme vocale, campe une Mrs Grose (un rôle qu’elle a incarné à la scène soixante-dix fois !) d’un pur réalisme théâtral. Les fantômes impressionnent : le Peter Quint de Jean-Francis Monvoisin aux vocalises inquiétantes rappelle le souvenir de Robert Tear, et Cécile Perrin (Miss Jessel) aborde son personnage avec un profond sens dramatique. Une mention toute particulière pour les deux enfants : le Miles de Samuel Mallet se révèle saisissant de vérité en victime expiatoire à l’innocence bafouée, tandis que la jeune Louise Van der Mee (Flora) participe avec naturel à cet univers de l’enchantement et de l’ensorcellement.
  
L’éloquence de l’instrumentation, les alliages de timbres et le lyrisme sont superbement mis en valeur par la direction précise, claire, souple et engagée d’Ariane Matiakh qui aborde Le Tour d’écrou pour la première fois. Chacun des treize musiciens de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours se trouve impliqué et même en position de soliste dans les interludes. L’alchimie sonore gagne en tension au fur et à mesure du déroulement de la partition jusqu’à atteindre une quintessence minérale.
Une nouvelle fois, l’Opéra de Tours a su faire vibrer le public avec une oeuvre complexe et troublante dont nul ne sort indemne.
 
Michel Le Naour
 
Britten : Le Tour d’écrou - Tours, Grand Théâtre, 14 mars ; prochaine représentation  mardi 18 mars 2014
 
Photo © François Berthion

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