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Le Temps d’Aimer la Danse - Biarritz 2023 – Une grande quête – Compte-rendu

 

Décidément, ce mode d’expression qu’on appelle la danse, n’en finit pas de se chercher, de se frotter aux sujets les plus divers, de creuser, sans hélas souvent y parvenir, l’impalpable comme le tangible. Que veut dire le mot, finalement ? C’est ce qui ressort des innombrables formes que tentent les chercheurs-en-danse, alors que la dite danse semble liée aux origines les plus fondamentales des émotions humaines.
 

"Yeled" © C. de Otero 
 
Cette quête, c’est celle que poursuit Thierry Malandain, chorégraphe à la fois prestigieux mais plein de doutes,  et hanté par le sens de son aventure. A la fois happé par la variété de cette galerie qu’il propose chaque année, puisqu’il dirige le Festival Le Temps d’Aimer, et par ses propres œuvres, où il célèbre à la fois les codes du passé de la danse et s’emploie à dessiner son avenir, ou plutôt à la sortir du temps, il poursuit une longue marche qu’il aère de ses écrits passionnés et prodigieusement documentés sur l’histoire de son art, et dont on aura encore un jalon dans sa nouvelle création autour des Quatre Saisons, cet automne.
 

"Yeled" © C. de Otero
 
Pour l’heure, Le Temps d’Aimer s’avère aussi fourni qu’à l’accoutumée, avec des compagnies venues de Suisse, d’Italie, d’Allemagne, du Portugal, des Pays-Bas, et bien évidemment de France, et notamment du pays basque, dont les instincts créateurs autant que les traditions continuent de s’entremêler avec vigueur. Mais qu’en est-il du chorégraphe israélien Eyal Dadon, dont le bizarre Yeled a ouvert les festivités : une remontée de souvenirs d’enfance, assez absconse, avec un cadrage de porte qu’on passe et dépasse, et des danseurs qui s’agitent, fort bien d’ailleurs, pour nous faire atteindre cette sphère intime qu’on ne saisit pas. De puissamment dynamiques au départ, les chorégraphes israéliens si à la mode, deviennent de plus en plus difficiles à suivre.
 

"Shoot me" © Stéphane Belloc
 
Au même programme, donné par l’Aterballetto, troupe de Reggio Emilia qui eut ses heures de gloire, et que ne manqua d’ailleurs pas la France grâce aux saisons de l’Opéra de Saint-Quentin-en-Yvelines que dirigeait alors Pierre Moutarde. Le temps a passé, les chorégraphes sont changé, et si les corps se meuvent toujours avec autant d’entrain, leur Shoot me, réglé par Ugo Tortelli, se présente comme une frénétique scansion de groupe à la limite du jean-patte d’éléphant sur du rock très classique, celui du groupe Spiritualized, et en  rappel démonstratif des années hippies, sans les fleurs…
 
Avec On achève bien les chevaux (photo), signé de Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra National du Rhin, et très attendu, une toute autre aventure, plus corsée : on connaissait le café-concert, l’opéra-ballet, voici le théâtre-ballet, voire le ciné-danse, car c’est bien au célèbre film de Sidney Pollack, sorti en 1969, que colle cette étrange composition, à laquelle il faut dire que l’on a adhéré, tout en s’interrogeant, car pour une compagnie qui se veut encore fidèle à des bases classiques, on n’en trouve plus beaucoup trace ici, en dehors des possibilités techniques qu’elle donne aux danseurs, même dans des figures de banal ballroom.
 

 "On achève bien les chevaux" © C. de Otero
 
Ceci dit, allié aux remarquables Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, qui ont transposé cette atroce aventure d’une Amérique en déroute, en une mise en scène claire et bien structurée, Bruno Bouché place des comédiens qui mènent le jeu, et fait remuer habilement une masse de couples, dans des figures qui ne nous fascinent pas, mais avec une certaine cohérence. Et les quelques solistes qui émergent, avec notamment Josua Hoffalt, ancien de l’Opéra de Paris, en Robert, et dans le rôle de la suicidaire Gloria, la prenante Clémence Boué qui succède à une certaine Jane Fonda (enjeu difficile), parviennent à nous captiver. Le tout dans une salle surchauffée à l’ambiance de ring, la salle Lauga de Bayonne, que le climat transformait en étuve, ce qui ajoutait bizarrement à la sinistrose glauque de l’histoire.
 
Pour le reste, de jeunes stars du mouvement auront marqué ce festival changeant comme les vagues, du charismatique et joyeux Mehdi Kerkouche, vedette tout terrain des plateaux de télé tout en dirigeant le CCN de Créteil, après une incursion à l’Opéra de Paris du temps d’Aurélie Dupont, au torturé et imaginatif Martin Harriague, de la danse urbaine à quelques échos baroques, de soli déconcertants comme le Grand Ecart de Kiyan Khoshoie au splendide Cendrillon de Malandain, interprété par le Ballet Nice Méditerranée, qui couronne l’édifice, on se sera posé bien des questions, et trouvé quelques réponses. Tout en se rafraichissant au Casino, à température idéale, en parcourant l’exposition Corps de Ballet, consacrée à Ballet Biarritz par Raphaël Gianelli-Meriano, où défilent les portraits des danseurs de la compagnie ainsi que des gros plans instructifs sur leurs quadriceps et orteils efficacement modelés pour notre plaisir, et pour la survie d’une danse qui ose encore dire son nom.
 
Jacqueline Thuilleux
 

Biarritz, Gare du midi, le 8 septembre, Bayonne, Salle Lauga, le 9 septembre 2023. Festival Le Temps d’Aimer la Danse jusqu’au 17 septembre 2023. www.letempsdaimer.com
 
 
Les Quatre Saisons, création de Thierry Malandain, Festival de Danse de Cannes, le 25 novembre 2023, www.cannesticket.com. Opéra Royal de Versailles, du 14 au 17 décembre 2023, www.chateauversailles.fr
 
Photo © C. de Otero

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