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Le Temps d’Aimer à Biarritz, 30e édition – Etats de danse, enfin – Compte-rendu

La danse a survécu au gouffre de ces derniers mois, et ce ne fut pas sans d’innombrables difficultés à surmonter que Le Temps d’Aimer a pu inscrire à son fronton sa 30édition : une session riche et complexe, malgré les multiples annulations (des danseurs israéliens notamment), les distanciations, les contrordres, une organisation tumultueuse dans la gestion des billets, compliquée à faire pâlir une fournée de souris, problèmes sans doute au niveau des coulisses et des plateaux, ce qui a nécessité de trop longs entractes : bref une tension générale mais un résultat vigoureux, ardent, avec de hauts moments de grâce, d’autres d’agacements, le tout pour montrer le courage de ces artistes, venus de multiples horizons chorégraphiques ou sociaux, mais qui gardent foi dans le langage du corps, même en danger…
 
Serre (chor. Martin Harriague) © De Otero

 Comment comparer les exquis moments mozartiens et beethovéniens dansés avec subtilité par le toujours harmonieux Malandain Biarritz Ballet et les folies furieuses de La Horde, venue de Marseille, comment passer de la violente et combative féminité de la belle Nach, portée par la danse krump, à la descente dans les affres d’une solitude étouffante, mais prometteuse de renouveau avec Serre de Martin Harriague, l’un des espoirs contemporains, qui se joue dans une boîte transparente quoique enfumée. Un homme nu, prostré, s’ouvre peu à la vie, bientôt rejoint par une Eve tout aussi retenue: tous deux parlent le langage d’un retour à la respiration du corps et de l’âme, sobrement, et sans nulle provocation sexuelle, juste l’évidence de la nature. Malgré la présence du superbe Mickaël Conte face à Harriague lui-même, on a moins aimé A-Live, le lendemain, tout en alliages corporels infiniment dansés, mais moins prenants.
 
Et on n’a rien compris à Gömböc, de Antonin Comestaz, qui montre une danseuse ondulant pendant un long moment,, « entre folie douce et résilience mentale à la Gömböc, objet tridimensionnel, etc… ». On s’est surtout ennuyé, tandis que les trois jeunes protagonistes de la compagnie Parenthèse, dans la sinueuse chorégraphie proposée par leur directeur Christophe Garcia, un ancien de Béjart, sous le vocable L’ambition d’être tendre, envoûtaient par leur douce puis forte ronde, impulsée par les belles sonorités des musiciens plantés sur scène, Benjamin Melia et Guillaume Rigaud, avec pour support oxygénant, le son enchanteur et vitaminé des cornemuses.
 

Ballets de Monte Carlo © Stéphane Bellocq
 
Enfin, le Festival s’est clos avec un éventail ouvert sur la cour des grands, à savoir deux des plus brillantes compagnies actuelles de notre sphère, les Ballets de Monte Carlo et le Ballet du Capitole. Toutes deux exultant de donner enfin libre cours à leur joie de danser et de dire leur énergie toujours vivace. Impossible de ne pas être ébloui par le talent de Jean-Christophe Maillot, même lorsqu’il ne se lance pas dans le narratif, où il excelle : ici, c’était l’un de ses chefsd’œuvre, une manière de carte de visite que ce Vers un pays sage, lequel, dansé par de multiples compagnies mondiales et créé en 1995, n’a en fait rien de sage. La pièce, géométriquement fabuleuse par ses parallélismes toujours mouvants,  a été pensée en hommage à l’énergie dévorante de son père, le peintre et plasticien Jean Maillot : on y trouve un perpétuel bouillonnement de désirs, d’explosions joyeuses ou juste dynamiques, et elle se vit comme un stress permanent mais maîtrisé par la trépidation qu’impose la musique de John Adams, sorte de compilation obsessionnelle passant du Sacre du printemps à la Danse du Sabre, avec quelques remontées du Bal de la Symphonie Fantastique. Une séquence haletante, qui ne laisse respirer ni danseurs ni public. En regards, les courbes, les langueurs, les ondoiements d’Altro canto, déroulaient, sur des pages de Monteverdi essentiellement, comme une farandole de grâces fluides, sorte de pause dans le grand charivari contemporain.
 
Ballet du Capitole © Stéphane Bellocq
 
Quant au Ballet du Capitole, on sait avec quelle ardeur parfois désespérée, Kader Belarbi y maintient le cap de la tradition autant que de l’ouverture, avec toujours la nécessité d’un langage écrit, structuré, compréhensible. On a goûté à nouveau, avec combien d’émotion, le douloureux voyage dans le cycle d’une vie que représente A nos Amours, l’une de ses pièces les plus intimes et touchantes, qui raconte en trois couples entrecroisés, le cheminement de deux vies, tandis qu’on a apprécié aussi l’esprit très proche des pièces de Mats Ek, grand maître à  penser de Belarbi, de ses Liens de table, sur le superbe Quatuor n°8 op. 110 de Chostakovitch : atmosphère oppressante et écriture percutante. Mais on a beaucoup moins été sensible à la chorégraphie un peu molle de David Dawson, pour un Faune en chaussettes, (version piano). Ce malgré de superbes interprètes comme Philippe Solano et Ramiro Gômez Samon, vedettes de la compagnie. Mais à coup sûr, l’occasion était bonne de vérifier que ces compagnies piaffantes sont toujours prêtes à garder la danse vivante dans l’hexagone. Et de se dire que le Presbytère biarrot n’a rien perdu de son charme ni le jardin, ensemencé par le Temps d’aimer et Thierry Malandain, de son éclat…
 
Jacqueline Thuilleux  
Biarritz, Festival Le Temps d’Aimer, 30e édition, du 11 au 20 septembre 2020.
 
Photo : Serre (chor. Martin Harriague) © De Otero
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