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Le Rouge et le Noir par le Ballet de l’Opéra du Rhin - Le temps a lavé les couleurs - Compte-rendu

On regrettera Ivan Cavallari à la direction du Ballet du Rhin, même si le français Bruno Bouché, qui le remplacera la saison prochaine, mérite toutes les sympathies. L’Italien, attaché auparavant à l’australien Ballet de Perth, a su apporter au répertoire de la compagnie, toute une série d’œuvres méconnues qu’on a découvertes avec bonheur : on se souvient notamment d’un magnifique La Strada, resté totalement dans les oubliettes de la mémoire chorégraphique française, en France tout au moins. Et on lui est encore plus reconnaissant d’avoir ramené sur les scènes rhénanes le nom et le souvenir d’un des plus grands chorégraphes de la 2e moitié du XXe siècle, Uwe Scholz (1958-2004), qui œuvra à Stuttgart, Francfort puis Leipzig, où il régna jusqu’à sa mort prématurée.  De lui on vit notamment en Alsace sa Création, d’après Haydn, saluée en son temps comme un chef-d’œuvre.

 On n’en dira pas autant de la reprise de Le Rouge et le Noir, daté de 1988, et qui semblait avoir tous les atouts d’un grand ballet narratif, sur le mode du type de récit initié par John Cranko, dont Scholz mais aussi Neumeier furent les disciples. Mais qui pourtant laisse relativement froid, malgré l’horreur torrentielle des passions qui s’y déploient et la violence de la scène finale, où Mathilde de la Mole recueille la tête de Julien Sorel. Tout se déroule très fidèlement au récit de Stendhal, dont la dure concision, l’art de la pointe sèche a touché la chorégraphie, mais sans y insuffler son génie : les ensembles sont plats, les pas de deux répétitifs, évoluant lentement vers leur dénouement, malgré des portés d’une grande beauté, et l’on ne s’attache guère aux personnages, qui nous demeurent étrangers.
 
On relève cependant bien des instants subtils, où le talent de Scholz s’exprime à plein, notamment lors de la rencontre de Madame de Rênal et de Julien, où elle se fige sur pointes dans une pose d’une intense expression, on ressent les tremblements de ces âmes torturées dans les pas de deux emportés, aux larges tournoiements, sans pour autant se sentir émus. Et cependant, quels admirables interprètes que Hamilton Nieh et Dongting Xing, et quelle fidélité  que celle de Giovanni di Palma, jadis interprète de Scholz et qui a remonté le ballet avec une passion respectueuse. Pourtant, osons le mot, l’œuvre semble démodée, malheur qui arrive si souvent aux ballets, et notamment à ceux de Cranko, Balanchine ou  Béjart, alors que Mac Millan garde toute sa sève, grâce à la variété de son style coloré.
 
 Mais surtout, le problème se pose de l’interprétation orchestrale: la musique fut, on le sait, le point fort de Scholz, qui faisait tenir à ses danseurs des paris d’une difficulté insensée en leur communiquant ses intuitions musicales les plus  profondes. Ici, il avait choisi Berlioz. Qui pourrait dire mieux que cette fascinante sélection où s’enchaînent extraits de Roméo et Juliette, Les Troyens, ou Benvenuto Cellini, s’il s’était trouvé un chef pour lui rendre grâce ? Mais hélas Myron Romanul, dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, méconnaissable, a pratiqué la battue la plus dure, la plus mécanique, la moins lyrique possible. Entendre les accents incandescents de Roméo et Juliette se dessécher ainsi était comme les voir mourir doublement, et constituait une intense frustration. De là vient sans doute l’essentiel du peu d’impact d’une soirée qui aurait pu être marquante. Et puis, l’art du récit convenait peut être moins au talent si particulier de Scholz, intellectuel plus que romanesque, mystique plus que romantique.

Jacqueline Thuilleux

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Le Rouge et le Noir (chor. U. Scholz / mus. H. Berlioz) - Strasbourg, Opéra, 13 janvier, prochaines représentations à Colmar (Théâtre), les 21 & 22 janvier, puis à Mulhouse (La Filature), les 28, 29 & 31 janvier 2017/ www.operanationaldurhin.fr  
 
Photo © JL. Tanghe

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