Journal

Le Quatuor Tchalik interprète les deux Quatuors de Camille Saint-Saëns / Le Disque de la Semaine – Jeunesse retrouvée

Le Quatuor Tchalik va de réussite en réussite, et le mélomane de bonheur en bonheur grâce à un ensemble qui, jour après jour, conforte sa place parmi nos meilleures formations chambristes. De la musique française à nouveau – nul ne s’en plaindra ! – : après de remarquables albums Escaich et Hahn, la fratrie Tchalik a profité du centenaire Saint-Saëns (1835-1921) pour enregistrer les deux quatuors d’un créateur dont cette année anniversaire aura su éclairer la personnalité, balayer pas mal d’idées préconçues et enrichir la discographie.
 

© Steve Murez

1899 : l’auteur du Concerto « L’Egyptien » a pris son temps avant de signer son 1er Quatuor à cordes op. 112, chef-d’œuvre qui connut un plein succès à son époque, mais s’est hélas fait rare de nos jours dans les programmes, supplanté s’agissant du répertoire français par deux autres quatuors du tournant du siècle, ceux de Claude Debussy (1893) et de Maurice Ravel (1904), des œuvres jeunesse qui marquaient l’entrée de leurs auteurs dans le domaine chambriste. La situation est toute différente dans le cas de Saint-Saëns, âgé de 64 ans lorsqu’il termina son 1er Quatuor, dédié à Eugène Ysaÿe.

Comme le détaille Fabien Guilloux dans une notice de présentation admirable de clarté et de précision, le compositeur a pris pour modèle dans cet ouvrage le « quatuor brillant », cher à la musique française à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, qui offre un rôle prééminent au premier violon à la différence du « quatuor concertant », prisé par l’école viennoise et caractérisé par l’équilibre entre les parties. Un choix opportun : « Le succès de l’Opus 112 de Saint-Saëns, souligne F.  Guilloux, repose surtout sur le fait qu’il ouvre à sa manière un autre voie originale lui permettant de se défaire de l’emprise beethovénienne et de se démarquer nettement des orientations de l’école franckiste. »
 

   

La force du Quatuor Tchalik est de parvenir à assumer pleinement la singularité du Quatuor en mi mineur : Gabriel Tchalik se montre remarquable de présence et d’autorité au premier violon, mais ne profite aucunement de ce rôle moteur pour tirer toute la couverture à lui : le résultat demeure exemplaire d’intelligence, de vivacité, d’esprit dans l’échange entre les protagonistes. Peut-être faut-il chercher du côté des Canaries et du ciel de La Palmas, sous lequel l'Opus 112 fut écrit, pour comprendre la formidable énergie qui le parcourt. Nos interprètes savent en tout cas saisir l’ardeur de l’Allegro-Piú Allegro, la course haletante du Molto allegro quasi presto, le lyrisme épanoui du Molto adagio, ou le fluide élan d’un finale Allegro — qui ne perd jamais de vue la nuance non troppo ! –, avec de bout en bout un remarquable sens prononcé de la couleur.
 
L’Opus 112 trouve une nouvelle jeunesse sous des archets à ce point sensibles, solaires et investis. Et le 2Quatuor en sol majeur op. 153 n’apparaît aucunement en reste ! Avec cet ouvrage tardif, 1918-1919, attaché pour sa part au modèle du « quatuor concertant », Saint-Saëns entendait offrir une œuvre plus légère, techniquement plus abordable que le redoutable Opus 112. Elle l’est sans doute, mais confronte toutefois ses exécutants à une écriture exigeante par la clarté que requiert son esthétique néo-classique. Jean Gallois y discerne une « méditation sur les trois âges de la vie » de la part d’un musicien parvenu au terme de sa longue existence. On le suit volontiers sur cette voie en découvrant l’interprétation intensément partagée, pleine de relief et de clins d’œil complices (le 1er mvt), d'accents plus sombres aussi (magnifique Molto adagio), du Quatuor Tchalik. A n'en pas douter, on tient là l'un des grands disques de l'année Saint-Saëns !
 
L’automne sourit décidément à une formation qui, outre ce coup de maître discographique, s’apprête à donner son premier concert au théâtre des Champs Elysées. La salle de l’avenue Montaigne les attend dimanche 7 novembre à 11h dans le Quintette à deux violoncelles D. 956 de Schubert avec Edgar Moreau (qui ouvrira le concert par la 3Suite pour violoncelle de Bach).(1) Quant au début de 2022, c’est à la Philharmonie que l’on retrouvera les Tchalik, le 12 janvier, en ouverture de la Biennale de Quatuors à cordes.(2)
 
Alain Cochard

Camille Saint-Saëns : Quatuors à cordes nos 1 & 2 / Quatuor Tchalik / 1 CD ALKONOST ALK007
 

 
 
Site du Quatuor Tchalik : www.quatuortchalik.com
 
 
Photo © Steve Murez

Partager par emailImprimer

Derniers articles