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Le Quatuor de La Chapelle Harmonique à l’Auditorium du Louvre – Heureuse plénitude

Dans un article intitulé La grâce et l’émotion, Roger Tellart avait dès 2012 pressenti et attiré l’attention sur l’avenir radieux ne pouvant que s’offrir à un musicien, alors âgé de seize ans, d’une telle qualité : « Valentin Tournet, dont on peut dire qu'il a reçu tous les dons du violiste en partage » (1). Cinq ans plus tard, Valentin Tournet créait La Chapelle Harmonique, ensemble « né de la réunion d’un chœur et d’un orchestre sur instruments d’époque », en résidence au Festival d’Auvers-sur-Oise et à la Fondation Singer-Polignac. Si leur musicien de prédilection demeure J.S. Bach (leur projet initial, dès mars 2017 et en la Chapelle royale de Versailles, fut consacré à la redécouverte d’une version inédite de la Passion selon Saint-Jean, pas moins !), les musiciens de La Chapelle Harmonique servent un répertoire plus vaste, de la polyphonie de la Renaissance jusqu’au baroque des Lumières au sens large. Une formation « parallèle », les quatre musiciens constituant le noyau dur de la grande formation, se produit dans le répertoire chambriste des XVIIe et XVIIIe siècles : le Quatuor, convié pour la première fois à l’Auditorium du Louvre – deuxième concert (sur plus d’une trentaine) de la Saison 2018-2019 qui, déjà, fête les trente ans de ces rendez-vous très prisés. Ici devant une salle à guichet fermé : formidable succès des concerts de 12 h 30.

© DR
 
Gabrielle Rubio (flûte), Evgeny Sviridov (violon ), Valentin Tournet (viole de gambe), Jean-Christophe Dijoux (clavecin), tous superbement aguerris et maîtres de leur art, qu’ils déploient avec charme et fraîcheur, sans la moindre affectation – soit la réponse exacte à l’un des genres majeurs du baroque, la sonate en trio, illustré par le héros du Quatuor. Des six périlleuses Sonates en trio pour orgue de Bach, destinées à parfaire l’éducation musicale et instrumentale de son fils aîné Wilhelm Friedemann, la première, BWV 525, était ici proposée dans une instrumentation « à rebours » offrant à l’auditeur une comparaison passionnante, car si les deux approches sont parallèles, elles divergent à maints égards. Ce qui fascine dans l’original pour orgue tient notamment à l’instrumentiste unique se confrontant aux trois parties : deux voix solistes aux claviers manuels et basse au pédalier (sans le « remplissage » harmonique, naturellement, qu’autorise un authentique continuo).
 
La version chambriste renoue avec les origines du genre, et si « l’exploit » instrumental s’estompe, chaque partie gagne en liberté et mobilité : traverso et violon s’adonnèrent au Louvre à de vives (mais fort décemment évaluées) ornementations et gloses thématiques que les mains de l’organiste ne sauraient sans contrainte adopter. Une vie, une fluidité, un équilibre tout simplement autres, nourris par la basse chaleureusement développée par viole et clavecin. La difficulté de l’équilibre dynamique des parties reste commune aux deux approches : la registration à l’orgue, une projection individualisée mais homogène pour le Quatuor. Sonore et pourtant « fragile », ici d’une aisance de chaque instant, la flûte baroque ne saurait dynamiquement « lutter » avec l’éclat et le mordant du violon : l’art d’Evgeny Sviridov, sur l’ensemble du programme, n’en fut que plus admirable, offrant à la flûte la réponse la plus équilibrée qui soit sans brider sa propre et virtuose effusion. Conçue pour une même formation, la Sonate BWV 1038 apocryphe ( ?) ou du deuxième fils de Bach, Carl Philipp Emanuel, confirma les beautés d’un genre dont la « spontanéité » n’a d’égale que sa difficulté de mise en place, avec cette tenue qui impose de n’en rien laisser paraître.
 
À Bach père et donc peut-être fils répondit Georg Philipp Telemann, parrain de C.P.E. Bach. Le Quatuor de La Chapelle Harmonique offrit deux chefs-d’œuvre contrastés – introduits chacun par une Fugue relativement brève mais soutenue (des Vingt Petites Fugues TWV 30, 1731), mise en condition toute d’intériorité pour une écoute concentrée – empruntant aux deux recueils des Quatuors parisiens : Concerto n°2 en majeur (Six Quadri, 1730), Quatuor n°6 en mi mineur (Nouveaux Quatuors parisiens, 1738). Telemann l’Européen, qui respirait en connaisseur tant la musique italienne que l’art français, y lance des passerelles – sa propre manière des « goûts réunis » –, d’une tradition nationale à l’autre. Tant de richesse et de séduction ne pouvait que subjuguer une assistance comblée. Un juste et festif esprit d’ensemble, le fameux musizieren en sa plénitude, non pour briller par soi-même – les occasions sont innombrables – mais pour le bonheur d’une musique en société, raffinée, inventive, toujours surprenante et débordante de vive élégance, exigeante et suprêmement stylée, toujours sans qu’il n’y paraisse, à l’image de ses merveilleux interprètes.
 
Michel Roubinet

Paris, Auditorium du Louvre, 27 septembre 2018
www.louvre.fr/musiques
 
(1) www.concertclassic.com/article/valentin-tournet-en-recital-la-grace-et-lemotion-compte-rendu
 
Site Internet
 
La Chapelle Harmonique
chapelleharmonique.com/
 
Photo © DR

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