Journal

Le Paris des Orgues et le patrimoine - Du « marathon urbain » aux instruments récents de l'Essonne - Compte-rendu

Outre le Festival proprement dit (cf. Découverte du 1er mai, Actualité des 21 mai et 13 juin 2013) et les actions pédagogiques à destination du jeune public, l'Association Le Paris des Orgues s'est donné pour mission de faire découvrir l'important patrimoine de Paris intra-muros (quelque 300 instruments) à travers ses « Marathons des Orgues », à entrée libre. Paris, mais pas seulement : Versailles devrait être au programme du printemps 2014, cependant qu'un périple en quatre étapes à travers l'Essonne (en bus de tourisme, gastronomie comprise) aura lieu le 19 octobre, occasion de faire connaissance avec un patrimoine récent sans doute insoupçonné de nombreux mélomanes. La journée sera dédiée aux orgues Kern (2009) de la basilique Notre-Dame de Longpont-sur-Orge ; Abbey (c.1840) de Saint-Étienne de Corbeil-Essonnes, récemment restauré par Yves Fossaert ; Thomas (2009) de Notre-Dame de Champcueil ; Cattiaux (2008) de Saint-Médard de Brunoy. Sans oublier le patrimoine que représentent les lieux eux-mêmes, avec un détour par la cathédrale contemporaine d'Évry, et sa poétique couronne d'arbres, non encore dotée d'un orgue à tuyaux…

Les marathons consacrés au patrimoine parisien couvrent deux journées, chaque matinée et après-midi se concentrant sur un secteur de la capitale de sorte que l'on puisse aller à pied d'un lieu au suivant. Esprit associatif oblige, les titulaires des instruments offrent généreusement leur participation à ces riches journées de l'orgue parisien, avec pour chaque tribune une présentation historique et esthétique, suivie d'une audition – réunissant jusqu'à 300 personnes par église. La quatrième édition de ces « marathons », portant le nombre des orgues déjà visités à plus d'une trentaine, coïncidait avec le week-end du Patrimoine 2013.

Le point de ralliement du samedi 14 septembre (3ème, 10ème et 11ème arrondissements) était l'église réformée du Foyer de l'Âme, haut lieu parisien des Cantates de Bach, dont l'instrument a été reconstruit en 2009 par Quentin Blumenroeder dans l'esthétique saxonne – idéal pour le continuo mais aussi, ô combien, en soliste. Claveciniste et organiste, Frédéric Rivoal (photo), l'un des titulaires du lieu (comblé en la matière, puisque animé également par Freddy Eichelberger, François Guerrier, Élisabeth Geiger et Nicole Tartar-Gigliotti), ouvrit la journée en beauté avec un florilège de transcriptions (Haendel, Rameau) magnifié par un toucher splendide, tout de raffinement et d'énergie, pour une poésie ductile et chantante. L'étape suivante conduisit les marathoniens à Sain-Denys-du-Sacrement, dont le titulaire, Thierry Adhumeau, fit entendre Boëllmann et Gigout à l'orgue de chœur (quelle présence dans l'édifice !) ; pour toucher l'orgue de tribune, il avait convié Emmanuel Hocdé : la composante néo-classique emporta presque davantage l'adhésion (Concerto Bach-Vivaldi) que le fonds romantique. Ce fut l'occasion d'entendre un extrait, magistral, de la 3ème Symphonie, dite « Mariale », du fameux chanoine Auguste Fauchard (1881-1957), dont on redécouvre l'œuvre – Emmanuel Hocdé en a gravé la 4ème Symphonie, dite « Eucharistique », sur le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice (CD Hortus 078). Signalons que l'Association Boëllmann-Gigout, présidée par Thierry Adhumeau, vient de publier les très intéressants Souvenirs du chanoine, sorte de pendant à ceux de Vierne qui fut son maître durant l'année 1903-1904, que Fauchard passa à Paris (également comme auditeur dans la classe de Guilmant) : la vie d'un organiste de province (Mayenne, Laval) ayant également connu l'univers musical de la capitale – toute une époque.

L'après-midi permit d'entendre le grand orgue Suret (1853) de Sainte-Élisabeth joué par son titulaire, Christophe d'Alessandro. À Louis Couperin et Franz Liszt répondit une improvisation mettant en œuvre le système informatique de gestion en temps réel du son, capté par des micros installés à demeure en différents endroits du buffet principal (cf. Actualité du 22 mai 2011). Après quoi l'on se rendit à Saint-Joseph-des-Nations, très vaste église néo-gothique dont on ignore souvent qu'elle renferme un grand Stoltz (1874), relevé par Bernard Dargassies. Présenté par Frédéric Dupont, l'orgue fut illustré par Michel Estellet-Brun, avec pour finir une saisissante improvisation conservée dans la mémoire informatique de l'orgue et restituée par son système replay. Rappelons que l'on doit à Michel Estellet-Brun la découverte d'un compositeur tchèque, Josef Klicka (1855-1937), dont il a ici même gravé quatre grandes pièces (CD Alpha 106, 2006). La journée s'acheva à deux pas de la Gare de l'Est, à Saint-Laurent : l'un des très beaux buffets XVIIe de Paris, lequel abrite un orgue étonnamment polyvalent, classique français (Ducastel, Clicquot) et romantique (Suret, Merklin), le tout relevé par Renaud. Ses titulaires Béatrice Piertot (Grigny et Boyvin de grand style) et Ann-Dominique Merlet (un Vierne lumineux semblant presque venir d'un pur instrument symphonique !) en offrirent la révélation à un public qui souvent l'entendait pour la première fois. Si chacune des tribunes visitées témoigne en réalité d'une activité musicale continue, l'abondance de l'offre fait que l'on reste ignorant de bien des merveilles…

Quatre autres lieux étaient au programme du dimanche après-midi, dans le 9ème arrondissement. Tout d'abord l'église évangélique allemande de la rue Blanche et son Kleuker, sorte d'ovni dans le paysage organistique franco-français du Paris d'alors (1964). Sa titulaire, Helga Schauerte (cf. Actualité du 22 mai 2011), fit se répondre avec panache Allemands (Buxtehude, Böhm) et Français (Michel Corrette et Gaston Bélier : Toccata publiée en 1912). Aussitôt après nous accueillait à Saint-Louis-d'Antin l'organiste franco-britannique David Noël-Hudson, qui sur son Cavaillé-Coll (1858) de moins de trente jeux fit grandement sonner, comme sur un orgue de cathédrale, Pierné, Widor, Franck et Callaerts : impressionnant ! Revenant sur nos pas, ce fut ensuite l'immense Trinité et ses deux orgues Cavaillé-Coll. L'organiste américaine Carolyn Shuster-Fournier, titulaire de l'orgue « de chœur » autour duquel elle a créé une intense vie musicale, y fit entendre, entre autres, un bluffant Carillon de Westminster de Vierne, d'une progression dynamique stupéfiante pour un orgue de modestes dimensions situé à même le sol de la nef (incroyable efficacité de la boîte expressive). Au grand orgue, les deux titulaires adjoints : Jean-François Hatton et Thomas Lacôte – Loïc Mallié étant titulaire principal de cet orgue qui fut celui de Messiaen – rendirent hommage, inévitable !, à Messiaen. À noter que Thomas Lacôte publie chez Hortus (CD 106, sortie numérique le 14 octobre, sortie physique le 6 novembre) un premier enregistrement de ses œuvres, album gravé à la Trinité et intitulé The Fifth Hammer : on y trouve notamment Alluvions en flamme, page entendue sous les doigts de Yoann Tardivel lors du Festival du Paris des Orgues 2013.

La clôture de ce quatrième marathon se fit à Notre-Dame-de-Lorette : la titulaire Marie-Ange Leurent étant elle-même en concert, ce fut Éric Lebrun qui, spontanément et avec sa générosité coutumière, présenta et fit entendre l'instrument : le premier grand Cavaillé-Coll (1838), en ce lieu à l'atmosphère de basilique romaine, bien qu'au pied de la Nouvelle Athènes, véritable conservatoire de la peinture romantique – la demi-coupole de l'abside vient d'être magnifiquement restaurée. Éric Lebrun y offrit un récital de haute tenue – Boëly, J.S. Bach, Franck, Lefébure Wely – refermant en beauté, devant un public nombreux et enthousiaste, cette manifestation aussi novatrice qu'utile pour la connaissance de notre patrimoine.

S'il est tout naturel de s'émerveiller devant un patrimoine instrumental aussi considérable (lequel va bientôt s'enrichir du Grenzing du nouvel auditorium de Radio France : la revue trimestrielle Orgues Nouvelles y consacre un dossier en octobre, n°22), on peut et doit tout autant s'émerveiller de ce que chacun de ces lieux vive musicalement tout au long de l'année, grâce aux musiciens qui y sont attachés. Magie de l'orgue, assurément, mais aussi grande abnégation de ceux qui le touchent : servir la musique, en même temps que le patrimoine, n'est pas un vain mot.

Michel Roubinet

Marathon des Orgues, 14 & 15 septembre 2013

Sites Internet :

Le Paris des Orgues / Marathon des Orgues
http://www.leparisdesorgues.fr
http://www.leparisdesorgues.fr/les-marathons-des-orgues/

Orgues Nouvelles
http://orgues-nouvelles.weebly.com/index.html

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Michel Roubinet

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles