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Le Palais Royal interprète Haendel au Conservatoire d’art dramatique – Radieux - Compte-rendu

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Après un programme Rameau et l'esprit français donné le 5 novembre dernier dans l'historique et merveilleuse salle de style Empire ou néo-pompéien (1806-1811) de l'ancien Conservatoire, chaleureusement habillée de bois et de toiles peints – concert dont l'œuvre principale, somptueusement restituée, était le Requiem de Campra (1) –, Le Palais Royal conviait de nouveau son public en ce même lieu, leur actuel port d'attache parisien. Donné en petite formation, mais débordant de cette bienveillante joie de vivre qui est l'une des marques de l'ensemble à géométrie variable dirigé par Jean-Philippe Sarcos, ce concert Haendel du 28 janvier fut repris le 2 février en l'hôtel de Poulpry (Maison des Polytechniciens).
 
Les Passions de Haendel : le titre se réfère non pas à une anticipation musicale du temps de Pâques mais à « Haendel et l'amour », quand bien même une partie de l'oratorio Esther fut reprise de la Brockes Passion du grand Saxon, la seule qu'il ait laissée en langue allemande… Petite formation donc (3 + 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse, clavecin, théorbe, 2 hautbois et basson ; 2 solistes vocaux, pas de chœur, quoique…), mais présence intense tout au long d'un florilège conçu tel un tout, riche bouquet empruntant aux œuvres certes les plus diverses, sans unité dramatique implicite, mais s'enchaînant sans hiatus sur fond de souriant équilibre et de renouvellement des situations. Autant de pages d'un abord aisé, puissamment dynamiques ou lyriques, souvent porteuses d'émotion.
 
À l'ouverture de Rinaldo fit suite Ombra mai fu de Serse par le baryton Clément Dionet : timbre clair, d'une articulation nette et mordante, aisance et légèreté sans sacrifier la projection – un baryton français d'une belle polyvalence. Puis un duo d'Esther, ce premier des oratorios anglais de Haendel, à Clément Dionet répondant la mezzo-soprano Charlotte Mercier (photo) depuis l'une des deux loges d'avant-scène (respectivement surmontées de cartouches à la gloire de Rossini et de Meyerbeer !), première étape d'une mise en espace conçue par Tami Troman, premier violon : lumières (tant de précision avec en définitive si peu de choses, jusqu'à véritablement rehausser le concert d'un halo de vie scénique), mouvements et situations théâtrales suggérées, à peine jouées, juste ce qu'il faut de spontanéité pour tonifier un programme source pure de plaisir.
 
Après les quatre épisodes instrumentaux des « songes agréables et funestes » d'Ariodante, l'air de Médée Morirò de Teseo puis le Récit & Air de Zoroastre d'Orlando, les deux solistes se retrouvèrent le temps d'un duo de Rinaldo alliant fureur et noirceur, Charlotte Mercier timbrant à l'envi une Armide toute acidité et malignité – avant d'oser, avec bravura, le grand air d'Ariodante Dopo notte écrit pour le castrat Carestini, d'une folle virtuosité et exigeant un aplomb sans faille, le tout en estompant avec adresse les difficultés de changement de registres lors des brusques plongées coloratura dans le grave. Soudain, pour refermer la première partie, un chœur, pourtant absent… : des membres de l'Académie de Musique que dirige Jean-Philippe Sarcos (2), pour qui la formation des jeunes musiciens est une activité des plus essentielles, les chanteurs s'étant mêlés à l'assistance, tant à l'orchestre qu'en galerie – un délicieux effet de bain musical à l'appui du texte Si godete al vostro amor – « Réjouissez-vous de votre amour ».
 
La seconde partie ne dérogea pas à cet esprit festif, suite lyrique introduite par un triptyque instrumental (Marche de Rinaldo, Largo du Concerto grosso op. 3 n°2, Entrée de la reine de Saba de Salomon), avant de faire alterner ou se retrouver les solistes : air Una guerra d'Apollo e Dafne ; air Tu sei il cor de Giulio Cesare ; Sinfonia d'Ariodante ; Récit & Air (bouleversant) D'un sventurato amante / Pena tiranna d'Amadigi di Gaula ; Gavotte de l'op. 3 n°2 ; enfin un Récit & Air de nouveau emprunté à Apollo e Dafne : Placati alfin / Come rosa in su la spina, et le duo Caro più amabile de Giulio Cesare – authentique fine lieto qui n'eut guère de peine à ravir une assistance depuis longtemps conquise. Tant la maîtrise que la « spontanéité » d'un programme aussi radieux, comme exempt de toute contrainte sensible, ne saurait faire oublier les exigences infinies que requiert un tel exercice de bonheur partagé – jusqu'à la reprise, telle une confirmation entre scène et salle, du chœur Si godete al vostro amor, avec pour le public le sentiment d'être partie prenante à ce chant l'enveloppant, à tout le moins de s'y associer par le cœur et les sens.
 
Michel Roubinet
 
Paris, Salle du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, 28 janvier 2015
 
 
(1) Lire le compte rendu d'Olivier Rouvière :
www.concertclassic.com/article/le-palais-royal-au-conservatoire-national-dart-dramatique-la-bible-en-images-compte-rendu
À noter qu'il existe un double enregistrement, audio et vidéo, du Requiem de Campra par Le Palais Royal, réalisé en public le 29 septembre 2013 au Festival de Souvigny – on peut se le procurer sur le site du Festival :
souvigny.wifeo.com/achat-pack-dvd-cd-palais-royal-jma-392603.html
 
(2) Académie de Musique, direction Jean-Philippe Sarcos
academie-de-musique.com
 
 
Sites Internet :
 
Le Palais Royal – Jean-Philippe Sarcos
http://le-palaisroyal.com
 
Saison musicale de Poulpry
http://le-palaisroyal.com/saison-musicale-de-poulpry/
 
Clément Dionet
http://clementdionet.com/index.html
 
 
Photo DR

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