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Le palais enchanté - Vestiaire de Divas au CNCS de Moulins

Une fois de plus, on s’émerveille en prenant le chemin de ce palais des chimères, adossé à la paisible cité de Moulins: France profonde, douce, harmonie sérieuse. Et ces bâtiments du XVIIIe siècle de pure découpe, à la limite du conventuel ! Mais là, le cloître pousse à la déraison, à l’ivresse, un peu comme le château d’Antinéa, surgi de nulle part : d’emblée une robe rouge de Violetta nous survole, signée de Frank Sorbier, ce couturier amoureux des cantatrices. Et l’étrange parcours s’amorce.

On sait les profondeurs de ces galeries où sont méticuleusement étiquetés, vérifiés, protégés des attaques de mites et du climat, les quelques 7100 costumes jugés prêts pour la postérité, après le grand tri qui présida à la création du Centre National du Costume de Scène. On découvre, une nouvelle fois, l’engagement passionnel, le goût et la rigueur des deux femmes, gardiennes du temple, qui veillent sur cet héritage : Martine Kahane, personnage hors normes, conservateur général et directrice du CNCS, et Delphine Pinasa, directrice déléguée et commissaire de l’exposition présente. Quittant le Palais Garnier, elles ont suivi leurs trésors, entourées d’une jeune équipe locale qui s’initie à l’art exquis de faire revivre des rêves, à partir de moulages, de coques de torses, de mannequins et de masques, pour les deux expositions annuelles qui permettent au Centre d’accueillir le public.

Cette fois, pain béni : il est question de divas ! Quel plus séduisant sujet que ce paraître scénique auquel l’identité de la dame est liée de façon majeure. De la poudre de riz de la loge au manteau de cour, les Callas, Caballé, Anderson, Réjane ou Feuillère, ont tissé avec ces parures un lien alchimique, qui ajoute au trouble créé par leur art. Point capital à préciser : le choix des pièces présentées n’est pas forcément guidé par une décision mais par les possibilités techniques, ce que Martine Kahane appelle des « traces», costumes ou objets familiers, accessoires de scène. Pour éclairer le parcours, les vidéos précisent les voix et les silhouettes chaque fois que cela s’avère possible, ainsi pour Callas, Anderson ou Crespin.

Rien de fétichiste dans tout cela, mais une saga, ou l’on retrouve ou découvre d’éblouissants sillages, des images mythiques : robes de Callas, l’assoluta, en Norma et Traviata, ou dans le ténébreux costume de Médée du film de Pasolini. Sublimes envolées de tournures pour Gheorghiu en Traviata, ou Anderson, qu’on admire aussi bien dans les historiques costumes de Robert le Diable que dans les mousselines drapées pour elle, comme tenue de récital par Maurizio Galante, fabuleuses robes, aux reflets changeants pour Capriccio de Renée Fleming, ou flamboyante et à traîne, créée pour sa Traviata de 2008 au Met par Christian Lacroix, splendeur barbare de la Didon de Jessye Norman ou cuirasse de Brünnhilde pour la création de La Walkyrie à l’Opéra de Paris, en 1893. Paniers de Te Kanawa pour la Maréchale du Chevalier à la Rose, casque et bottines d’Hortense Schneider pour la Grande Duchesse de Gerolstein. On écoute les souvenirs, on s’émerveille du talent des costumiers ou couturiers, de l’architecture de ces châteaux de mousseline ou de brocart qui ont portés des passions scéniques et non seulement des défilés. Patience, technique, amour, imagination, merveille que ce fragile château de cartes.

Certes, la diva chante, c’est son identité première, mais on n’a pas voulu la cantonner à ce rôle. Dames de théâtre ou de variétés ont ici leur place : de A comme Adjani et sa robe mythique d’Ondine, à Z comme Zizi et son truc en plumes. On vit une émouvante rencontre avec Dalida, Callas de la chanson, voici les minuscules souliers de satin de Cléo de Mérode, les broderies d’or sur la robe de la reine de Ruy Blas pour Sarah Bernhardt, les jarretières et bibis de Mistinguett. Puis, comme un répondant tragique à ces débordements ornementaux, « la » petite robe noire (en fait l’une) de Piaf, diva du peuple, star absolue dans son orgueilleuse sobriété.

L’opulent catalogue qui épingle ces beaux papillons se doit d’être le garant de nos souvenirs et de ceux qui nous ont précédés. Edité par Gourcuff Gradenigo, il porte la marque de la culture et de l’émotion, grâce à des textes signés de couturiers comme Lacroix et Sorbier, infiniment troublés par leur sujet, de chercheurs, d’écrivains, et même de propos de divas telles que Anderson et Jane Rhodes. On sort de sa lecture, comme de l’exposition, avec une angoisse : que pourra-t-on présenter de nos modernes divas dans une vingtaine d’années ? Blouses d’infirmières, bikini de Nathalie Dessay dans Ariane à Naxos, combinaisons, robes de Deschiens, sans parler des pataugas, kalachnikovs, treillis et tricots marcel de leurs partenaires …

Jacqueline Thuilleux

Exposition « Vestiaire de Divas » - Centre national du costume de scène – Moulins, jusqu’au 31 décembre 2010.

Centre national du costume de scène
Quartier Villars, Route de Montilly
03000 Moulins
Tél. : 04 70 20 76 20
www.cncs.fr

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Photo : DR
 

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