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Le Miroir de Jésus de Caplet sous la direction de Sofi Jeannin à Notre-Dame de Paris – Un chef-d’œuvre redécouvert - Compte-rendu

 Le 22 octobre dernier était créé en la cathédrale de Paris le Livre de Notre-Dame (cf. Actualité du 4 décembre 2013), cycle de quinze motets commandé pour célébrer le jubilé de la cathédrale et enregistré dans la foulée. Pour fêter la parution du CD (initialement prévue pour juin 2014 – label Maîtrise Notre-Dame de Paris), trois de ces œuvres étaient proposées en préambule au concert du 17 juin, non plus avec accompagnement d'orgue, comme dans la version originale, mais rehaussés de l'appareil instrumental de l'œuvre principale du programme, la plus importante de son auteur dans le domaine de la musique sacrée : Le Miroir de Jésus d'André Caplet (1878-1925), soit quatuor à cordes et harpe, ici soutenus par la contrebasse – en l'occurrence l'excellent Quatuor Parisii, Iris Torossian et Dominique Desjardins. Ce 17 juin (comme il y a déjà trois ans pour un programme également français – cf. Actualité du 22 mars 2011), au Chœur d'enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris, créateur du cycle, était associée la Maîtrise de Radio France, toutes deux dirigées, à l'instar de la création, par Émilie Fleury.
Les trois pièces révisées pour la circonstance étaient Tantum ergo de Vincent Bouchot, Femme revêtue de soleil de Michèle Reverdy et Un grand vent s'est levé de Benoît Menut, que l'on redécouvrait assurément sous ces nouveaux atours, tant la vêture instrumentale ne pouvait que métamorphoser ces courts mais intenses motets pour voix d'enfants, ici sous-tendus d'une richesse dynamique et de textures scintillantes jaillies d'un autre univers, moins « musique sacrée » au sens convenu, mais non moins spirituel.
 
Sous-titré « Mystères du Rosaire » et composé en 1923, Le Miroir de Jésus fut entendu à Lyon en février 1924 avec orchestre à cordes et deux harpes, puis dirigé par Caplet le 1er mai suivant à Paris dans sa version pour quatuor et harpe, au Vieux-Colombier et avec Claire Croiza pour la voix principale. Cette œuvre modulable et rare au concert – bien qu'entendue à l'Amphithéâtre Bastille en mai 2012 sous la direction de Patrick-Marie Aubert – s'articule en trois parties : Miroir de joie, Miroir de peine et Miroir de gloire, le compositeur ayant prévu « d'utiliser un groupe de voix de femmes (9 voix seulement divisées en 3) pour agrémenter comme fond sonore les Mystères joyeux et les Mystères glorieux », soit les Parties I & III – ici donc le vaste chœur d'enfants, lequel assumait aussi le rôle initialement confié aux « trois voix d'accompagnement » (soprano, mezzo et contralto) chargées de proclamer a cappella, délicieuse idée de Caplet, « Le Miroir de Jésus : Quinze petits poèmes sur les saints mystères du Rosaire qu'Henri Ghéon composa et qu'André Caplet de musique illustra ».
 
Chaque partie s'ouvre sur un Prélude confié aux seuls instruments, d'une dimension poétique particulièrement intense et magnétique sous les voûtes de Notre-Dame, comme hors du temps, chacun étant suivi de cinq sections retraçant la vie de Jésus en regard des souffrances de sa Mère, de l'Annonciation jusqu'au Couronnement au ciel. L'essentiel du texte – notamment la deuxième partie, qui contraste douloureusement et de saisissante manière avec la joie pure et vive du Miroir de joie, accentuée par la fraîcheur et « l'innocence » des voix d'enfants, et avec la robuste espérance se rattachant au Miroir de gloire – revient à une voix soliste. L'indication quasi recitativo apparaît à plusieurs reprises et dit parfaitement le style grave et éloquent qui sous-tend cette partie véritablement splendide.

À Notre-Dame, ce fut Delphine Haidan, à maints égards magnifique : de présence et de diction (voix et détail du texte auront-ils porté jusqu'à l'autre extrémité de la nef ? – mystère des lieux magiques mais complexes), de musicalité et d'expression (noblesse bienveillante d'une Geneviève de Pelléas et Mélisande), restituant avec subtilité et sobriété la vaste palette des sentiments humains, de la joie à l'extase via l'insondable souffrance. Sous la direction souple, compréhensive mais exigeante de Sofi Jeannin (photo), ce Miroir de Jésus – œuvre difficile à écouter pour certains, pour d'autres d'un naturel si singulier que l'on s'y sent transporté par le climat poétique – fut reçu dans l'émerveillement par un public prodigieusement attentif, reconnaissant pour la (re)découverte de ce chef-d'œuvre d'André Caplet.
 
Michel Roubinet
 
 
Paris, Cathédrale Notre-Dame, mardi 17 juin 2014

 
Enregistré par Radio France, ce concert sera diffusé ultérieurement sur France Musique.
 
 
 
 
 
Sites Internet :
 
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris – Concert André Caplet du 17 juin 2014
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article325
 
Maîtrise Notre-Dame de Paris – Chœur d'enfants
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article14
 
Maîtrise de Radio France
concerts.radiofrance.fr/formations/maitrise-de-radio-france
 
 Photo Sofi Jeannin / © DR
 
Post-scriptum qui n'a rien à voir avec Caplet mais avec le répertoire – remarquable – de Notre-Dame de Paris. Si l'on commémore cette année le 30ème anniversaire de la disparition de Pierre Cochereau (Solstice a publié en mars un nouvel ensemble d'inédits à Notre-Dame : L'art de la variation, SOCD 302), on célèbre aussi le 60ème anniversaire de la disparition de Léonce de Saint-Martin (1886-1954), successeur si contesté de Louis Vierne au grand-orgue de Notre-Dame, en 1937, et objet d'un ostracisme qui eut (qui a ?) la vie dure et longue, bien injustement sans doute – Vierne aurait souhaité à juste titre voir Maurice Duruflé lui succéder, le clergé en décida autrement. Quel que soit l'avis que l'on puisse avoir sur la nomination de Saint-Martin, qui assuma stoïquement sa mission, nulle doute que ses grandes œuvres de musique sacrée ont leur place à Notre-Dame : Cochereau lui-même et la Maîtrise d'alors, sous la direction du chanoine Jehan Revert – la voix de la cathédrale, inoubliable d'humanité et de sensibilité, présentant les concerts ! – ne dédaignèrent pas d'enregistrer pour les Disques Charlin (1966/1972, repris en CD par Solstice en 1998), outre certaines grandes pages pour orgue, la Messe en mi (1932) et le Magnificat pour chœur et deux orgues (1951) – que l'on a pu entendre, le 14 juin dernier à Saint-Marguerite (Paris), par le Chœur de la cathédrale de Versailles dirigé par Amaury Sartorius, avec Emmanuel Hocdé au grand orgue et Marie-Christine Steinmetz à l'orgue de chœur (Messe et Magnificat seront d'ailleurs redonnés par les musiciens versaillais à la cathédrale d'Amiens le 6 juillet prochain). Or Notre-Dame semble n'avoir prévu aucun hommage à Saint-Martin…
 
Notons, dans le même registre, que la Missa Salve Regina de Jean Langlais, par exemple, créée avec succès à Notre-Dame de Paris lors de la messe de minuit 1954 – six mois après la mort de Saint-Martin, quinze jours avant la prise de fonction de Cochereau – n'y a pas retenti depuis des lustres. Langlais lui-même, au grand orgue, devait y enregistrer dès février 1955 une gravure de référence, aussitôt couronnée d'un Grand Prix du Disque – Prix Madame René Coty pour l'année 1956 (« Prix des réalisations exceptionnelles – Académie du Disque Français »), avec « diplôme » au nom d'André Charlin, toujours lui, signé de la main d'Arthur Honegger – grande époque… Espérons du moins qu'Erato, en pleine renaissance, nous rendra cette gravure, parmi d'autres que Jean Langlais réalisa, notamment chez lui à Sainte-Clotilde, pour le label des Éditions Costallat.

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