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Le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn à la 12ème Biennale Massenet de Saint-Etienne – Parasitage visuel – Compte-rendu
Une fois de plus l’Opéra de Saint-Etienne a fait montre d’originalité. C’est en effet par une production du Marchand de Venise de Reynaldo Hahn que s’est ouverte la 12ème Biennale Massenet. Un choix cohérent (Hahn compte parmi les élèves de l’auteur de Werther) et bienvenu car l’ouvrage est absent des scènes françaises depuis 1979 (il fut cette année-là donné à l’Opéra Comique) – on ne l’avait d’ailleurs guère vu depuis sa création à l’Opéra de Paris le 29 mars 1935. Preuve que la curiosité des programmateurs paie, le public est venu en nombre découvrir une partition séduisante dont il a pu, du point de vue musical, apprécier les qualités (1)
Voilà pour la bonne nouvelle. Quant à la mauvaise, Le Marchand de Venise était mis en scène. « C’est une œuvre ambiguë, problématique en raison du conflit entre Chrétiens et Juifs qui est au centre de son intrigue », écrit Arnaud Bernard dans sa note d’intention. Certes, mais cela eût mérité d’être traité avec plus de tact, de modestie et, éventuellement, une vraie attention à l’esprit de la musique. Désireux de « chercher les messages sous-jacents et de les mettre en perspective à la lumière des événements de l’histoire contemporaine même très récents et très proches de nous », A. Bernard soumet l’ouvrage à un véritable déluge d’images allant de l’affiche du « Juif Süss » à… François Hollande lors de la manifestation du 11 janvier, en passant par l’aigle du Reich, les SS, le ghetto de Varsovie, une maquette d’Albert Speer vue sous tous les angles, une caricature d’Adolf Hitler, le Procès de Nuremberg, l’attaque des Twin Towers, la poignée de main Kohl-Mitterrand, les Palestiniens, et la liste pourrait se prolonger... Comme par exemple avec une aussi fugitive que ridicule apparition du colonel Kadhafi, au 2ème acte, juste avant l’entrée du Prince du Maroc déguisé en … colonel Khadafi ! Consternant.
© Cyrille Cauvet
Des références aux drames de l’histoire, celle du peuple juif en particulier, qui ne sauraient faire illusion. Ce prétentieux salmigondis visuel n'est que cache-misère, comme les lumières glauques qui baignent le spectacle. Au II, après l’apparition du colonel libyen, les choses se calment du côté des projections (on se contente d’images évoquant la mer qui a englouti les vaisseaux d’Antonio) ; cette soudaine « sobriété » ne souligne que plus cruellement la lassante agitation d’une direction d’acteur caricaturale, incapable de traduire les expressions, les attitudes que la musique suggère. Que tout ce monde s’agite, court en vain : les portes qui claquent en plus et l’on se croirait par moments revenu au temps d’«Au théâtre ce soir ».
Parasitée, plombée par ce que l’on vient d’évoquer, la production stéphanoise n’en demeure pas moins séduisante du point de vue vocal et musical. Transformé en juif hassidique boiteux, le Shylock caricatural imposé par le metteur en scène n’est pas pour faciliter la tâche de Pierre-Yves Pruvot. Il s’en acquitte toutefois remarquablement avec un total engagement et une palette expressive variée. On est très séduit aussi par la vitalité et la luminosité que Guillaume Andrieux apporte à Bassanio. Aux qualités vocales s’ajoute une remarquable présence scénique, là comme pour Gratiano et Lorenzo, bien campés par François Rougier et Philippe Talbot. Quant à Frédéric Goncalvès (Antonio), la qualité de son instrument sert une incarnation très humaine.
Le bonheur n’est pas moindre du côté des dames : Gabrielle Philiponet se taille un beau succès à l’applaudimètre et ce n’est que justice : sa Portia enchante tant par la qualité du timbre que le chic et la justesse de l’interprétation. Une fois de plus c’est à un délice de fraîcheur et d’intelligence musicale que convie Magali Arnault-Stanczak (Jessica), la non moins irrésistible Nérissa d’Isabelle Druet complètant un trio féminin de rêve. Frédéric Caton (Le Prince du Maroc, Le Doge), Vincent Delhoume (La Voix, Le Prince d’Aragon, Salarina) mettent eux aussi beaucoup de soin à des emplois bien plus modestes. Préparé par Laurent Touche, le Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire se révèle parfaitement à la hauteur de la scène du procès au III.
Dans la fosse, Franck Villard conduit l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire avec souplesse et lyrisme et s’attache à souligner avec un beau sens des timbres le caractère d’une musique fluide et subtilement pensée, entre comédie et drame. Avec un tel spectacle sous les yeux, il n’en a que plus de mérite.
La Biennale Massenet se poursuit jusqu’au 18 juin et on y relève entre autres un programme de cantates profanes de Massenet sous la baguette de Giuseppe Grazioli (4 juin) et un récital d’airs et de mélodies de Massenet et Hahn par Norma Nahoun et Jean-Marc Salzmann, avec Mathieu Pordoy au clavier (12 juin)
Alain Cochard
(1) Une bonne trentaine de minutes de musique ont toutefois été coupées. Mais le spectacle, avec deux entractes, dure tout de même 3h45 ….
Hahn : Le Marchand de Venise – Saint-Etienne, Opéra Théâtre, 29 mai 2015
12ème Biennale Massenet, jusqu’au 18 juin 2015 : www.operatheatredesaintetienne.fr
Photo © Cyrille Cauvet
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