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Le Lac des cygnes par le Ballet de l’Opéra de Kiev – Froideur insigne – Compte-rendu

On avait tout lieu d’espérer devant une telle affiche : le Ballet de l’Opéra de Kiev, certes riche d’une moins forte tradition que les Bolchoï et Mariinsky, ses grands prédécesseurs russes, mais marqué par de fortes personnalités et porteur d’ un style façonné dans la grande tradition du ballet romantique que Petipa et Ivanov fixèrent pour le monde russe : la compagnie, née en 1926, commença donc à se produire dans des œuvres emblématiques telles que Le Lac des cygnes, Raymonda, Don Quichotte. De grands maîtres, de grands danseurs y laissèrent leur marque, jusqu’à ce jour où, après le très apprécié Valeriy Kovtun, décédé en 2005, elle a continué sur sa lancée académique sous la direction d’Aniko Rekhviashvili, brutalement disparue en novembre 2019.
 

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Et quoi de plus absolu comme repère du mirage romantique, persistant chez les slaves alors que la France l’avait abandonné, mais que le marseillais Petipa ensemença durablement, que le Lac des cygnes : sublime et sombre histoire, sublime musique de Tchaïkovski, sublimes battements d’ailes, sublimes instants suspendus avec des pas de deux auxquels personne n’ose toucher dans les nombreuses relectures d’une œuvre dont la lettre demeure d’ailleurs improbable.
Hélas, de retenu, tendu, le ballet devient ici sculpture de glace, toute expressivité en semble bannie, l’intrigue à force d’être considérée avec hauteur, s’envole vers des cimes inaccessibles, la grâce tremblante des épaules des danseuses cygnes se fait battement de pales de mixer, le glamour diabolique du troisième acte avec son cygne noir n’est que simple performance. Le prince, à force de réserve mélancolique, s’endort sur ses rêves, la bataille finale frise le ridicule avec ses quelques passes esquissées, la reine cygne ondule à grands traits sans le moindre frémissement dépeignant ses tourments. Un sort est jeté, qui a figé la fresque sur ses diktats techniques, ce qui n’empêche pas la chorégraphie d’être confuse, tout au moins dans ce qu’on perçoit de la relecture qu’en fit Valeriy Kovtun, aujourd’hui disparu.
 

Anastasiia Shevchenko © Kseniia photoart

Cela évidemment, ne concerne ni la symétrie militaire du corps de ballet, ni les lignes souveraines de la belle ballerine Anastasiia Shevchenko, aux bras immenses mais peu émouvants, ni l’élégance du prince Denys Nedak, même s’il semble bien peu concerné, ni la percutante présence de Iaroslav Tkachuk  en Rothbart, accomplissant de brillantes prouesses sans la moindre rigueur mais accrocheur, lui, ni surtout, la vivacité charmeuse de Stanislav Olshanskyi, chargé de la danse napolitaine. Son bref passage est le moment le plus réussi de la soirée, de même que les variations hispanisantes, généralement perçues comme un dû à un goût dépassé et qui ici, parviennent à toucher le nôtre, parce qu’elles sont vivantes.

Un comble, que n’arrangent pas les décors vieillots ou surchargés de pâtisseries (pour le 3e acte) de Maria Levitska, ni l’exécution approximative de l’Orchestre Hexagone, que la baguette du chef ukrainien Viktor Oliynik houspille avec une violence qui n’aide guère au charme de l’ensemble. Déjà, l’an passé, Casse-Noisette donné par la même troupe, avait paru vidé de toute magie, voici que le mythique Lac des cygnes, parfois si troublant et même oppressant, s’est figé sur une raideur qui le vide de toute portée. Mieux vaut jouer faux mais vrai, dit-on souvent de la musique : c’est pareil pour la danse.

Jacqueline Thuilleux

Tchaïkovsky : Le Lac des cygnes (chor. Valeriy Kovtun) -  Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 30 décembre 2019 ; prochaines représentations les 2, 3, 4, 5 janvier 2020 // www.theatrechampselysees.fr
 
Photo © DR   

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