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Le « KaiserRequiem » par Omer Meir Wellber et l’Orchestre de Paris – Ullmann et Mozart rendus à la vie – Compte rendu

 

 

 
 
Omer Meir Wellber (photo), qui fait ici ses débuts avec l’Orchestre de Paris, est un chef d’une espèce rare. Excellent musicien, l'ancien assistant de Daniel Barenboim croit si fort en la puissance de la musique qu’il pense possible de changer l’approche du concert. Les deux soirées à la Philharmonie, qui mêlent Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann et le Requiem de Mozart lui donnent entièrement raison. L’opéra de Viktor Ullmann (1898-1944), la plus emblématique des œuvres qui nous soient parvenues post-mortem du camp de concentration de Terezin, s’articule parfaitement aux mouvements du Requiem dont le chef israélien n’a retenu que les pages écrites par Mozart. Viktor Ullmann a en effet composé une œuvre hybride, un opéra certes mais qui assume ses élans de théâtre ou de cabaret, autant que son arrière-fond musical très référencé, ancré aussi bien par les influences du jazz ou de la musique pour le cinéma que des chorals de Bach ou des Lieder de Mahler et réunissant, par nécessité, les instruments dont il pouvait disposer à Terezin : cordes, cuivres et bois (dont un saxophone), mais aussi piano, clavecin, harmonium, banjo, guitare et percussions.

 Ullmann et Mozart en abyme
 

Le concert lui-même est d’une forme inclassable, emboîtant ses différents éléments en une mise en abyme qu’appelle le livret lui-même : un « haut-parleur », sorte de coryphée comme sorti d’un film expressionniste (le comédien Charles Morillon, troublant et inquiétant à souhait), descendant depuis l’arrière de la salle armé de son mégaphone, annonce la représentation de l’opéra Refus de la Mort. Cet opéra dans l’opéra conte la décision de l’Empereur Overall de lancer une guerre totale, « de tous contre tous ». Ainsi privée de ses prérogatives, la Mort se met en grève et ne permet plus que personne meurt. Elle ne reprendra son rôle que lorsque, le premier, l’Empereur (parfaitement incarné, dans l’autorité comme dans la folie, par le baryton Thomas Johannes Mayer) se sera sacrifié à la Mort nouvelle.

 

© Denis Allard

 
Un sommet d’humanité
 
Dans ce récit, la musique de Mozart vient se déposer comme un commentaire, mais aussi comme le chœur manquant de l’ouvrage d’Ullmann, la figure de l’humanité évoquée dans le livret à qui elle donne corps – comme nimbée d’une lumière qui semble la maintenir dans les limbes. Dès que résonne l’Introït, le pari d’Omer Meir Wellber semble gagné. Semblant surgir comme par magie au cœur de la scène, grâce à un subtil jeu d’éclairage (les lumières comme toute la conduite dramaturgique ont été conçues par le chef), le Chœur de l’Orchestre de Paris est d’une extraordinaire présence. Non seulement il fait entendre le travail remarquable effectué par le chef de chœur Richard Wilberforce, mais surtout il crée une tension dramatique par la seule force du chant et de l’expression. De même, quand vers la fin de l’œuvre, les choristes, qui s’étaient éclipsés, reviennent depuis les coulisses pour le Lacrimosa, non plus en habit de scène mais en tenue de tous les jours, ce peu de théâtre suffit à créer un bouleversant sommet d’humanité.

 

© Denis Allard

Mozart vivant ! 

Omer Meir Wellber fait passer l’énergie d’Ullman dans l’interprétation de Mozart, sans forcer, en laissant faire la musique qui se prolonge avec naturel, portée par un Orchestre de Paris qui semble sous le charme. Cela fonctionne comme si – et pourquoi pas ? – Ullmann avait eu cette même intuition, avait composé son opéra en pensant au Requiem. Les solistes – la mezzo Christel Loetzsch (impressionnante dans le rôle du Tambour quand elle proclame la décision impériale), la basse Evan Hughes (La Mort, d’une beauté expressive absolue), le couple Rebecca Nielsen et JunHo You, soprano et ténor, passent aussi d’une œuvre à l’autre, et donnent ainsi sa part humaine, charnelle à une musique sacrée par son objet mais que les interprètes se gardent bien ici de sacraliser comme une relique. Combien Mozart semble vivant, présent dans cette interprétation !
 
Jean-Guillaume Lebrun
 

Paris, Philharmonie, le 8 mai 2025

Photo © Denis Allard

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