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Le Domino noir d’Auber à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (et bientôt à Paris ! ) – Joyeux retour – Compte-rendu.

Plus 1200 représentations entre la création parisienne du 2 décembre 1837 à l’Opéra-Comique et 1909 : le chiffre donne la mesure du succès – international – que remporta le Domino noir jusqu’à veille du premier conflit mondial. Mais l’opéra-comique d’Auber et Scribe s’est fait infiniment plus discret par la suite (il n’a pas été monté en France depuis 1995 ; une mise en scène de Pierre Jourdan au Théâtre Impérial de Compiègne). C’est donc avec une légitime impatience qu’on guettait la première liégeoise d’un spectacle qui marque le grand retour de l’ouvrage à la scène –il est le fruit d'une coproduction de l’Opéra Royal de Wallonie et de l’Opéra-Comique, à l’origine de l’entreprise. Retour attendu et joyeux, grâce à la savoureuse approche de Valérie Lesort et Christian Hecq qui, opportunément sollicités par Olivier Mantéi, effectuent là leur première incursion dans le domaine lyrique.

Anne-Catherine Gillet (Angèle) & Cyrille Dubois (Horace) © Lorraine Wauters - Opéra Royal de Wallonie

Berlioz ne fut pas toujours tendre – euphémisme – envers son collège, mais ne manqua pas toutefois de reconnaître à propos du Domino noir : « M. Auber a écrit sur cette pièce tant soit peu risquée et invraisemblable, mais vive et amusante, une de ses plus jolies partitions. » Musique de pur plaisir ... De cette étourdissant vivacité et piquante invraisemblance, les metteurs en scène font leur miel avec une invention et une fantaisie continûment renouvelées ; rien ne vient entraver le souriant élan d’une production auquel un « toilettage » bien conduit des dialogues apporte beaucoup aussi – en nous épargnant les lourdeurs de certaines « actualisations ».

Anne-Catherine Gillet (Angèle) © Lorraine Wauters - Opéra Royal de Wallonie

Dès le premier acte, situé à l’arrière d’une salle de bal que l’on découvre à travers le cadran transparent d’une horloge géante, un propos loufoque, sinon un brin surréaliste, s’impose  par l’intermédiaire de tout un bestiaire (bravo à Laurent Peduzzi et à Vanessa Sannino, respectivement aux décors et aux costumes) : Angèle et son chapeau tête-de-cygne-noir, Juliano et sa dépliable queue de paon, Elfort en porc-épic irascible, sans parler des autres participants au bal masqué, parmi lesquels on trouve un crocodile, une méduse rouge et d’autres spécimens ...
Plus classique mais non moins réussi — car toujours à l’écoute des rebondissements incessants du livret ; la remarque vaut pour l’ensemble du spectacle – , l’Acte 2 présente un caractère plus « gaulois » (si l’on peut dire dans un contexte aussi espagnol) avec une Jacinthe alla Botero et un sympathique porcelet rose servi aux convives – et fermement résolu à ne pas se laisser découper en tranches ! Quant à la dernière partie, elle joue sur le registre couvent-cornettes, avec le concours de statues et sculptures vivantes, jusqu’au happy end unissant Angèle et Horace.

Jacinthe (Marie-Lenormand) & Cyrille Dubois (Horace) © Lorraine Wauters - Opéra Royal de Wallonie

Mais la réussite du Domino noir tient d’abord à la réunion d’une équipe de chanteurs rompus à l’esprit de l’opéra-comique. Nul besoin des sous-titres avec des artistes à la diction aussi parfaite qui, dans le parlé comme le chant, songent toujours au théâtre. Enfant du pays, issue du Conservatoire de Liège, Anne-Catherine Gillet incarne une Adèle pleine de chic et de séduction et d’une merveilleuse agilité vocale. Face à elle, Cyrille Dubois offre un touchant Horace, mélange de jeunesse et de séduction mâtiné d’un peu de naïveté. Bien assorti aux plumes de paon dont les metteurs en scène l’ont affublé, François Rougier campe un Juliano très hâbleur, tandis qu’Antoinette Dennefeld est une Brigitte pleine de tempérament. Grand succès pour Marie Lenormand et Laurent Kubla, Jacinthe et Gil Perez pour le moins croustillants, tout comme Laurent Montel en Lord Elfort. On n’oubliera pas de saluer la comédienne Sylvia Bergé, Ursule acariâtre à souhait, et Pierre Iodice qui a assuré la préparation de choristes très impliqués.

En fosse, Patrick Davin mène les musiciens de l’orchestre maison avec tonus et précision ; sa baguette respire le bonheur. Vraie fête que ce Domino longuement applaudi par le public liégeois – qui attendait tout de même depuis cent quatre-vingts ans (!) le retour de l’ouvrage d’Auber sur la scène de l’Opéra Royal. Reprise à la salle Favart du 26 mars au 5 avril, avec la même distribution, Patrick Davin dirigeant cette fois le Philharmonique de Radio-France.

Alain Cochard

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Auber : Le Domino noir – Liège, Opéra Royal de Wallonie, 23 février ; prochaines représentations le 27 février, 1er & mars 2018/www.operaliege.be/fr/activites/le-domino-noir /Reprise à l’Opéra-Comique les 26, 28 et 30 mars, 1er, 3 et 5 avril 2018 / www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2018

© Lorraine Wauters - Opéra Royal de Wallonie

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