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Le Désert de Félicien David à la Cité de la musique - Curiosité historique – Compte rendu

Comme le disait Debussy, « quand on n’a pas les moyens de se payer des voyages, il faut y suppléer par l’imagination ». Le Désert de Félicien David sut parler à celle du public de son temps et fit la gloire de son auteur. Quelques années après un grand voyage qui l’avait conduit de Constantinople à l’Egypte en passant la Palestine, le musicien signa cette « ode-symphonie » pour récitant, ténor, chœur d’hommes et orchestre sur un poème d’Auguste Colin et, partant, initia tout un courant orientaliste dans la musique française. Créé en décembre 1844 à Paris, l’ouvrage s’attira les éloges de Berlioz et fut souvent repris. Dès 1846 New York entendit Le Désert, tout comme Aix-la-Chapelle où on le donna en costumes, avec quarante figurants et… - ne lésinons pas sur les moyens - deux chameaux en carton !

« A l’aspect du désert, l’infini se révèle
Et l’esprit exalté devant tant de grandeur,
Comme l’aigle fixant la lumière nouvelle,
De l’infini sonde la profondeur » …

Ainsi débute une composition de près d’une heure, où la musique de David recourt finalement peu à des sonorités orientalisantes. C’est plus par les mots que Le Désert agit, en tout cas sur les esprits de son temps. Ils ont bien changé depuis et, à l’heure d’internet et des voyages faciles, on pourrait être tenté de sourire en entendant les vers plutôt plats de Colin et les harmonies assez banales de David.

On s’en garde bien et l’on est heureux d'écouter, grâce à l’impulsion du Palazzetto Bru Zane, ce fameux Désert dont toutes les histoires de la musique parlent mais que l’on n’entend jamais. C’est d’abord par les pistes qu’elle ouvre, les potentialités qu’elle recèle que la partition importe dans le cours d’un siècle qui verra naître Les pêcheurs de perles, Lakmé, Le Mage et tant d’autres réalisations inspirées par des horizons lointains. Et, ne boudons pas notre plaisir, on goûte de très beaux moments dans ce Désert, à commencer par les interventions du ténor. Des ténors en l’occurrence. D’une poésie merveilleuse, Cyrille Dubois enchante son « Ô nuit, belle nuit », tandis que Zachary Wilder livre un magique Chant du muezzin. Laurence Equilbey mène l’Orchestre de chambre de Paris et le Chœur Accentus avec beaucoup de conviction et d’énergie. En récitant, Jean-Marie Winling opte pour une sobriété qui sied idéalement à la redécouverte de l’« ode-symphonie » de David.
 

Bertrand Chamayou / Photo © Richard Dumas
 
En prélude au Désert, Bertrand Chamayou signait un magnifique Concerto n° 5 « L’Egyptien » de Saint-Saëns. Interprétation pleine de couleurs, d’une virtuosité ailée et toujours poétique, dont le chic s’inscrit dans plus belle tradition du piano français. Pas la peine de pleurer les maîtres d’autrefois quand on affaire à un artiste de cette trempe ! Mais on eût aimé que Laurence Equilbey et les membres de l’OCP s’ébrouent avec plus d’enthousiasme dans les timbres foisonnants de l’orchestre de Saint-Saëns.
 
Alain Cochard
Paris, Cité de la musique, 6 mai 2014

Photo Laurence Equilbey © Jean-Baptiste Millot

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