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Le Crépuscule des Dieux à l’Opéra Bastille - Fin de parcours - Compte-rendu


«  C’est honteux » lance du balcon une dame, à peine le rideau tombé. Rien à côté de l’hallali que Günter Krämer déclenche en venant saluer. Ainsi va Paris, où l’opéra reste le dernier théâtre des passions.

Et c’est justement l’absence de passion que dégage crânement à l’heure du bilan le spectacle de Krämer, ce qui explique probablement le quolibet de la dame : M. Krämer s’est-il vraiment intéressé à la Tétralogie, avait-il un projet ou plutôt un cahier des charges ? Sa pratique du collage qui recycle quelques éléments de mises en scène autrement révélatrices (Chéreau, Kupfer, Braunschweig, la liste n’est pas close), le misérabilisme de sa grammaire – on se souvient encore de Siegfried et de Brünnhilde se bécotant sur la table de la cuisine – la laideur revendiquée des décors et des costumes, jamais assumée par une vraie dimension « trash », finissent par faire oublier la seule vertu de l’entreprise : la lisibilité. Qui voyait son premier Ring en aura du moins assurément compris l’histoire et les péripéties. Mais l’aura-t-il aimé ?

Le Crépuscule des Dieux ressassait cette esthétique du moche et du littéral, piquée ça et là d’idées saugrenues et dont le seul registre ressort constamment de la comédie – de préférence bourgeoise, le seul idiome un tant soit peu particulier restant l’ironie (vertu du méprisant). En cinq heures de spectacle et dans un opéra dont la dramaturgie ouvre une myriade de possibilités et la tentation d’univers multiples, le metteur en scène n’exposait qu’une « idée » personnelle : dès le prélude, Krämer nous montre Hagen, enfant infirme dans son fauteuil roulant sous la garde d’une nourrice imposante dont on ne voit jamais le visage. Lorsque cette nourrice s’intéresse à la lance brisée de Wotan, on comprend que c’est Alberich. Conséquence logique, Hagen étant prisonnier du fauteuil, Alberich assassinera Siegfried à la place de son fils. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Sinon rien que de très convenu : Brünnhilde s’est embourgeoisée et range sa vaisselle en attendant Siegfried,  Waltraute d’ailleurs lui fera connaître sa désapprobation en lui fichant le vaisselier par terre, elle du moins est restée Walküre, non mais ! Siegfried aurait pu évoluer, mais non, il est demeuré toujours aussi nigaud, seulement saisi d’un vague doute lorsqu’il voit dans le dos de son imper une croix. Gunther – un assez formidable Iain Paterson qui fait oublier son baryton anonyme par une belle performance d’acteur – obéit à toutes les phobies des classes supérieures. On vous épargne le reste, sinon cette fin digne d’un jeu vidéo où un gun virtuel, actionné par les mânes de Brünnhilde, dégomme les Walkyries, le Walhalla, la terre et, tant qu’à faire, l’univers.

Très drôle mais involontaire : Siegfried lutinant Gutrune fait irrésistiblement penser à l’affaire Strauss-Kahn, et comme Iain Paterson a à peu près la tête de Luc Ferry…
Pas drôle mais volontaire, les hommes de Hagen transformés en comité d’accueil du Syndicat des Vins du Rhin….

On ne se consolera pas avec le plateau. Katarina Dalayman met beaucoup d’ardeur à sa Brünnhilde mais la voix est décomposée, Torsten Kerl chante admirablement son Siegfried, mais ne fait pas oublier qu’il est à contre-emploi, n’ayant ni le volume ni le timbre du rôle, et pour le lui rappeler, son instrument craque juste avant sa mort ; Paterson et Sidhom sont ternes vocalement mais tout deux d’admirables acteurs, la Gutrune éloquente et en grande voix de Christiane Libor est gâchée par un costume et une mise grotesques. Reste outre le trio des Nornes et des Filles du Rhin, où brille une admirable Daniela Sindram, deux incarnations époustouflantes : La Waltraute véhémente de Sophie Koch, un modèle, on n’avait pas entendu mieux depuis Christa Ludwig, mais aussi le Hagen de bronze de Hans-Peter König, qui déclenche l’enthousiasme justifié du public.

Comme pour les trois volets précédents, Philippe Jordan tient son orchestre et malgré le spectacle, élève le propos. Il a développé une conception très personnelle, hautaine, élégante, donnant tout à entendre, mais pas forcément dans le bon ordre, de l’orchestre de Wagner.
Plus d’une fois la balance est admirable, et si l’on aime cette hauteur de vue, ce port de tête, cette baguette dardée, plus efficace hélas que le bras, on lui reprochera de ne pas se souvenir suffisamment des mânes de son père, lequel mettait plus de sens et d’animation à Parsifal qu’il n’a pu en susciter en aucun des volets de sa Tétralogie.

Ses premiers pas ici auront laissé au bout du compte une empreinte déjà effacée, mais Philippe Jordan reviendra se confronter à cet univers mieux armé et plus libre ; qu’il le veuille ou non il est le fils de son père et c’est bien pour cela que nous espérons en lui. Laissons faire le temps et remercions une fois encore Nicolas Joel de lui avoir passé si tôt le sceptre.

Jean-Charles Hoffelé

Wagner : Le Crépuscule des Dieux - Paris, Opéra Bastille, le 3 juin, puis les 8, 12, 18, 22, 26 et 30 juin 2011. www.operadeparis.fr

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Photo : Charles Duprat / Opéra de Paris

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