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Le Concert à la cour & Actéon par les élèves du CRR de Paris [vidéo] – Auber, tellement plus qu’une station de RER – Compte-rendu
Bien sûr, il y a eu à l’Opéra-Comique Fra Diavolo en 2009 et La Muette de Portici. Toujours Salle Favart, il y a eu Le Domino noir en 2018, qui revient par bonheur en ce début de saison 24-25 (1). Ne parlons même pas de l’Opéra de Paris, qui ignore superbement le compositeur dont le buste orne pourtant sa façade, le Palais Garnier étant encadré par les rues Auber et Scribe. Après avoir remporté les plus éclatants succès en son temps, ce tandem fait aujourd’hui l’objet d’un certain mépris, même si Scribe a la chance d’avoir aussi collaboré avec des compositeurs étrangers bien plus fêtés. Paradoxalement, Le Comte Ory est désormais l’un de ses opéras-comiques les plus connus, grâce à Rossini, qui s’y pliait pourtant dans un moule français. Et si Auber fut lui-même influencé par l’Italien, il n’en incarne pas moins une certaine tradition de l’opéra-comique français. Pourtant, son nom, pour le grand public, n’est plus guère que celui d’une station de RER.
© Marie-Louise Le Goff
Pour remédier à cette injustice, deux professeurs de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes – les musicologues Cécile Reynaud, connue pour ses travaux sur Berlioz, et Jean-Claude Yon, spécialiste d’Offenbach que l’on ne présente plus – ont eu l’excellente idée de puiser dans un vaste répertoire inexploité pour lancer le projet fou de monter, avec des élèves du Conservatoire à rayonnement régional de Paris, deux opéras en un acte d’Auber sur des livrets de Scribe.
Avec l’aide de Marie-Pierre Lamotte, directrice du mécénat de l’EPHE, et grâce au soutien de la Fondation d’entreprise AG2R la Mondiale pour la vitalité artistique, les financements nécessaires ont été trouvés, et le fruit de tous ces efforts a finalement pu être présenté au printemps 2022, dans le cadre idéal du théâtre du Conservatoire d’art dramatique. Par chance, le spectacle a été filmé, la vidéo est désormais en libre accès sur le site de l’EPHE, et l’on ne saurait trop en recommander le visionnage, qui devrait définitivement prouver qu’Auber n’est pas la vieille perruque qu’on voit sur des photographies tardives (il mourut presque nonagénaire en 1871).
© Marie-Louise Le Goff
Créé en 1824, Le Concert à la cour, ou la Débutante souffle cette année ses deux cents bougies ; son grand succès au XIXe siècle tient en partie à l’évocation du milieu de l’opéra, avec ses cabales, ses maestros tyranniques et ses rivalités entre cantatrices (entre autres répliques savoureuses, Scribe fait dire à l’un des personnages : « Je tiens l’emploi [de cantatrice italienne au grand opéra] seule et sans partage, d’abord parce que j’ai du talent, et puis mon mari empêche tous les débuts, et quand on est seule, on devient la meilleure »). Quant à Actéon, créé en 1836, une triste actualité récente a remis sur le devant de la scène ce sujet mythologique – ici distancié car il est simplement question d’un tableau vivant représentant la scène.
© Marie-Louise Le Goff
Le spectacle est forcément sobre (pas de décor, l’orchestre en fond de scène) mais il prouve une fois de plus qu’il vaut mieux avoir beaucoup d’idées et peu d’argent que l’inverse. La metteuse en scène Florence Guignolet réussit brillamment là où tant d’autres échouent : sans la moindre réécriture du livret, grâce à l’intelligence et au talent de tous, ces deux opéras-comiques font véritablement rire et leur musique exigeante pour les interprètes nous ravit. Car si le texte et la partition sont respectés, le jeu des acteurs n’a rien de compassé ou d’archéologique, et s’adresse à un public d’aujourd’hui. Ceux qui cherchent des solutions pour l’opéra de demain, aux budgets toujours plus amputés, seraient bien avisés d’y jeter un coup d’œil.
Evidemment, dans l’exécution musicale, on trouvera ici et là des détails qui pourraient être améliorés, notamment dans certains pupitres de l’orchestre dirigé par Xavier Delette, ou chez les voix de basse, qui sont un peu le point faible des distributions, mais on remarque aussi des talents prometteurs : deux sopranos colorature, Pauline Nachman et Emmanuelle Demuyter, deux mezzos, Zoé Fouray et Chiara Ceccarelli, et le ténor Ambroise Divaret, au sein d’une équipe dont l’engagement dramatique est irréprochable et qui laisse deviner quelques belles personnalités théâtrales.
Bravo pour cette défense et illustration d’Auber, dont on peut se demander s’il reviendra prochainement à l’affiche des théâtres parisiens. Faudra-t-il attendre 2035 pour que l’Opéra-Comique remette à l’affiche Le Cheval de bronze, quand cette œuvre fêtera le bicentenaire de sa création, ou 2041 pour Les Diamants de la couronne ?
Laurent Bury
(1) Le Domino noir à l'Opéra-Comique ; du 20 au 28 septembre 2024 : www.opera-comique.com/fr/spectacles/le-domino-noir-2024
Actéon
www.youtube.com/watch?v=NtNCp_5D9bo
Le Concert à la cour
www.youtube.com/watch?v=uYKAEPjvS98
Photo © Marie-Louise Le Goff
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