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L’Affaire Makropoulos au Festival de Salzbourg - Cohérence dramatique - Compte-rendu


Evénement très attendu du Festival 2011, rarement donnée à Salzbourg, L’Affaire Makropoulos selon Christoph Marthaler a comblé les attentes avec une admirable mise en scène, sobre mais symbolique dans chaque détail (décors et des costumes d’Anna Viebrock). Grâce aux éclairages pâles - voulus par Janacek - d’Olan Winter, un cubisme dur dessine les lignes monochromes de la salle du tribunal, tout en chêne, très administration début XXème siècle dont le vestibule en verre accentue la froideur. Le procès concernant les deux familles des héritiers d’Emilia Marty, les Gregor et les Prus, va avoir lieu, plutôt kafkaïen ; une seule immense table rectangulaire occupe l’espace, transposition moderne de la table de la Cène, du partage paisible, on suppose ; deux femmes, dans le vestibule, s’ennuient. Une grande, jeune (Sasha Rau en Jin Ling), et une toute petite vieille bossue et boitillante (Silvia Fenz en Mary Long), fument, consomment et se consument. Des portes de chambres d’hôtel ou d’hospice ou d’hôpital ou de cellules donnent sur la salle du tribunal. Un préposé géant livre des fleurs, régulièrement, à la petite vieille, un peu du Bob Wilson.

Famille Gregor et Famille Prus se disputent l’héritage. Tout est vu par les yeux d’Emilia qui les méprise et les utilise avec ses charmes ; Krista, la petite débutante, admire la diva, magnifique dans la fadeur ambiante, la routine. Le suicide d’un adolescent indiffère. Les âmes sont déjà mortes, enfermées dans de minables désirs. Le quotidien de dix personnes, immuable donc immobile, est celui de Prague. Emilia comprend et se désintéresse de la vie. Elle passe la recette d’immortalité enfin retrouvée à Kristina qui la brûle dans un cendrier. La diva veut mourir, faussement soutenue par l’entourage. Elle évoque le Christ et commence le Notre Père en grec. Eternité contre immortalité ? Marthaler procède par petites touches teintées d’un humour noir répétitif. Sa vision, qui ne manque pas d’interroger, s’agrandit de l’individu à l’universel, faisant de l’Affaire un mythe.

Janacek a écrit un livret magnifique d’après la pièce de Karel Kapek. Les mots s’allient clairement et avec force à la musique. Peu de duos. Des mélodies brèves. La voix d’Angela Denoke (Marty) domine la distribution dans son ample splendeur, contrôlée jusqu’à être glaciale, comme le voulait Janacek éconduit par la jeune et froide Kamilia qui inspire la trilogie féminine de ses derniers opéras. Il s’agit là d’un des rôles fétiches d’A. Denoke puisque nous l’y avons entendue à Paris en 2007, qu’elle l’a incarné à la Scala en 2009 et qu’elle va le reprendre à Londres, notamment avec le Philharmonia Orchestra sous la direction d’Esa-Pekka Salonen. Les autres voix féminines restent dans son sillage et chantent comme autant d’ombres qui l’entourent. Jurgita Adamonytè (Krista) émeut et chante vigoureusement sa décision de détruire le mythe. L’interprétation de Raymond Very (Albert Gregor) un peu couvert par l’orchestre, ne manque pas d’intensité, tandis que le Hauk de Ryland Davies est hilarant, comme toujours.

Si les mélodies sont sobres, l’orchestre, lui, avec son rôle moteur, bouillonne, riche d’idées déferlantes auxquelles se mêlent chants et danses moldaves. Mouvements, rythmes divers, bigarrures, contrastent avec le statisme voulu sur le plateau qui fait ressortir cette richesse dans une extrême mais opérante économie de moyens. La direction d’Esa-Pekka Salonen, remarquable, est celle d’un compositeur autant que d’un chef : il sait dessiner dans la partition une admirable architecture depuis la violence de l’ouverture jusqu’au chant apaisé, séraphique, des violons et des violes d’amour accompagnant de façon lumineuse la mort de Marty. Ce fleuve d’idées musicales ne pourrait autant fasciner sans l’excellence de l’Orchestre Philharmonique de Vienne qui les met en valeur.

Françoise Ferrand

Janacek : L’Affaire Makropoulos - Festival de Salzbourg. Grosses Festspielhaus, 25 août 2011.

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Photo : Walter Mair

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