Journal
Lady Macbeth de Msensk à l’Opéra de Lyon - L’amour à mort – Compte-rendu
Une fois de plus Dmitri Tcherniakov ne veut pas de la fin d’un opéra. A moindre mal ici, quoique... Le suicide de Katerina voulu par Alexandre Preis et Chostakovitch, est dévoyé : des sbires l’assassinent. Cela ne serait rien, s’inscrivant dans la logique d’une régie où la campagne russe s’est métamorphosée en une entreprise sinistre, décor unique où tout se déroule, noces comprises, et qui fait de cet opéra martyr – Staline entreprit de détruire Chostakovitch après avoir vu l’œuvre - avant tout une fable sociale. Mais a rebours du spectacle un hiatus se crée : cette femme qui aura tout défié, ivre de liberté, mais surtout possédée par l’amour jusqu’au meurtre peut-elle ne pas choisir sa propre mort ?
Malgré tous les efforts du metteur en scène pour faire de Lady Macbeth de Mzensk un opéra inscrit dans l’Histoire, c’est pourtant Katerina et son drame intime qui emportent la partie. Il suffit qu’elle paraisse, esseulée, devant son mur de tapis turkmènes et perses, refuge improbable et quasi onirique, pour qu’on saisisse que tout le reste, ordre social ou pas, serra inféodé à sa libération. Dès lors le suicide en devrait être l’étape ultime, choisi comme un dernier acte de révolte après qu’elle ait noyé sa rivale : son assassinat reste un contresens, la faisant uniquement victime.
Pour l’héroïne de Chostakovitch, il faut avant tout une actrice, aussi exigeante que soit sa terrible écriture vocale. Le public de l’Opéra de Lyon fait un triomphe justifié à Ausrine Stundyte, qui brûle son chant ardent aux tessitures meurtrières que le compositeur affadira d’ailleurs dans la seconde mouture de l’ouvrage, Katerina Izmaïlova, créée trente ans plus tard le 8 janvier 1963.
Guidé par une direction d’acteur au cordeau elle investit la figure de cette meurtrière par amour, la faisant presciente de son destin. Lasse, blessée, froide et déterminée pourtant, elle dit tout de son personnage. Reste que sa grande voix souffre plus d’une fois pour la justesse, tout comme celle de John Daszak, Serguei d’un seul bloc, dont le chant n’est jamais séducteur. La veulerie satisfaite de Zinovyi tient toute entière dans le timbre cinglant de Peter Hoare, un vrai ténor de caractère, alors que la basse profonde de Gennady Bezzubenkov donne un relief saisissant au Pope, pour une fois indemne de toute caricature.
Tous les comprimari sont formidablement tenus, animés par le génie du jeu d’ensemble qui fait de chacun des protagonistes du théâtre de Tcherniakov un personnage à part entière, même pour deux secondes, mais au final c’est bien le Boris de Vladimir Ognovenko, d’une présence terrifiante de brutalité et de stupre, qui emportait la palme.
Avec ses chœurs et son orchestre motoristes, bruitistes, passant de la cacophonie à l’abstraction lyrique en une fraction de seconde, Chostakovitch a signé la modernité implacable de son opéra : Kazushi Ono les emmène tous dans un brasier de sons épuisant et splendide à la fois.
Jean-Charles Hoffelé
Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk – Lyon , Opéra, le 25 janvier ; prochaines représentations les 29, 31 janvier, 2, 4 & 6 février 2016 / www.concertclassic.com/concert/lady-macbeth-de-mzensk
Photo © Jean-Pierre Maurin
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