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La Vestale de Spontini au TCE - « Est-ce assez d’une loi pour vaincre la nature ? » - Compte-rendu

Opéra emblématique du style « empire », applaudi par Napoléon Ier et joué près de cent fois d’affilée après sa création, le 15 décembre 1807, La Vestale de Gaspare Spontini n’avait pas été donné (en concert) à Paris depuis quarante ans ni sur scène, en France, depuis plus d’un siècle ! Il est vrai que l’œuvre exige beaucoup, du public comme de ses interprètes : austère d’un point de vue scénique, à l’instar de l’Alceste de Gluck, elle fait déjà parler l’orchestre comme l’exigera Berlioz et réclame cinq voix de premier plan, confrontées à des tessitures inhabituelles (le rôle-titre est une soprano dramatique capable de douceur, Licinius/Cinna des parties destinées à des baryténors, le Grand Pontife veut une vraie basse chantante et la Grande Vestale une mezzo au large registre).

Pour cette nouvelle production, l’ouvrage a été allégé (de ses ballets, rôles secondaires et de quelques récits) et le Théâtre des Champs-Elysées a mis beaucoup d’atouts dans son jeu, à commencer par un chef et un orchestre on ne peut mieux rodés à ce répertoire « intermédiaire », coincé entre (néo)classiscisme et romantisme, tragédie lyrique et grand opéra.

Dès les premières phrases de l’Ouverture, Jérémie Rhorer nous stupéfie par l’élégance galbée de son geste, son sens des attaques, à la fois fermes et douces, sa capacité à faire respirer son orchestre, à la trame aérée mais jamais relâchée. L’élasticité, le swing conféré aux larges mélodies, la fluidité des enchaînements (dont on peut aussi créditer le compositeur qui, en cela, annonce Wagner), l’expressivité de la dynamique priment sur la pure joliesse du son, Le Cercle de l’Harmonie sachant aussi bien magnifier la sensualité touffue du début de l’Acte II que la rudesse grinçante qui ouvre l’acte suivant. On peut certes rêver d’une phalange plus lisse, homogène et relever, ça et là, quelques accrocs (les cors ont fort à faire !) - jamais, du moins, l’attention/la tension ne retombe : chez Rhorer, il se passe toujours quelque chose !

Pour jouer à armes égales avec cette phalange, il faut de réels tempéraments vocaux : avec l’incandescente soprano albanaise Ermonela Jaho (voir son interview par François Lesueur sur notre site), Le Cercle a trouvé à qui parler ! Une fois qu’on s’est habitué à son petit vibrato rapide et à sa tendance à flirter avec le port de voix (dans les récits), on cède a la générosité vocale de ce bout de femme faussement fragile, qui paraît grandir tout au long de la représentation : jeune fille virginale à l’Acte I, elle ose au début de l’Acte II des phrasés follement voluptueux (qu’elle accompagne de son corps), des sons filés extatiques alternant avec de sidérants éclats, un legato de rêve dans la prière à Latone puis, au III, des graves caverneux pour répondre à ses accusateurs. Son amant, le ténor Andrew Richards (Licinius), à l’émission assez étranglée, et sa supérieure, une Béatrice Uria-Monzon (La Grande Vestale) débraillée, dont on ne comprend quasiment pas le texte, ne sont hélas pas faits du même bois, et, si le Cinna de Jean-François Borras ne manque pas d’élégance, on attend ici une voix plus corsée, tandis que l’imposant Pontife de Konstantin Gorny place trop souvent le son dans le nez et le haut du pharynx. Bonne prestation du Chœur Aedes, soumis lui aussi à rude épreuve et sur lequel le scénographe a particulièrement porté ses efforts.

Il s’agissait de la première incursion à l’opéra d’Eric Lacascade. Cernant l’ascendance tragique, chorale, gluckiste de l’œuvre, l’ancien directeur de la Comédie de Caen a manifestement visé à l’épure janséniste, pour ne pas dire presbytérienne. Avouons-le : le résultat visuel (scène vide, à l’exception d’une espèce de gros braséro faisant office d’autel, costumes gris, noirs ou blancs, mal coupés pour les dames, perruques uniformes) n’a rien d’exaltant et, au premier acte, on peut craindre la pure vacuité (ces fleurs de plastique piquées dans le plateau par les vestales…). Peu à peu, l’on se rend néanmoins compte que l’attention du dramaturge s’est focalisée sur le jeu des acteurs, le rôle des corps, la chorégraphie des gestes : très parlante (et forte, dans ce contexte) apparaît la joie mutine, iconoclaste, avec laquelle les amants s’étreignent à l’heure du sacrilège, fort amusante la parodie de kung fu façon Matrix à laquelle le Grand Pontife et Licinius, à bout de mots, se laissent aller. Mais c’est dans la conduite de la masse chorale que Lacascade convainc le mieux, notamment lorsque, durant le sacrifice final, les deux chœurs antagonistes opposent leurs mouvements circulaires, avant que l’un n’absorbe l’autre. Si cette approche sent encore trop la rigueur, l’atelier, manque encore de séduction et d’évidence, elle entre en résonnance avec l’altière réplique de la protagoniste (II, 6) qui nous sert d’incipit…

Olivier Rouvière

Spontini : La Vestale – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 20 octobre, prochaines représentations les 23, 25 et 28 octobre 2013.

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Photo : Vincent Pontet Wiki Spectacle
 

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