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La Traviata selon Jesus Lopez-Coboz

Igor Livshitz

Le fait est assez rare pour être noté : peu de Traviata laisse saillir l’orchestre comme un personnage à part entière. Dés le prélude, Lopez-Coboz instilla une élégance sensuelle, des gradations suaves, une exactitude dans les rythmes et les rapports dynamiques – ici des pointés marqués que l’on ne fait jamais bien qu’ils soient écrits, là un soli de violon sur trois notes pris en général par tout le pupitre – qui disaient assez sa volonté de philologie.

L’orchestre à son meilleur le suivit avec une discipline exemplaire, et une invention poétique qui ne l’était pas moins. La production de Jonathan Miller est une demi réussite. Le I demeure formidable, avec sa coursive et ses tables de Mai, toute son assemblée sortie d’un Manet, les caractères secondaires sont dessinés en un instant, et la Flora Bervoix de Marie-Thérèse Keller, en grand tralala, marquera le rôle par sa prestance et sa plénitude vocale, tout comme le Gastone de Jean-Luc Maurette.

Le II avec sa campagne normande réaliste déçoit par son coté carton pâte et des éclairages plats. Le second tableau est mieux venu lorsque qu’on se retrouve dans la partie fine de Flora, avec les Bohémiennes et leurs Toréadors d’opérette. Le III retrouve avec son idée de l’hôpital une cohérence dramatique bien plus efficace. On craignait qu’ Inva Mula ne puisse emplir le vaisseau de la Bastille. Commencée à l’économie, sa Violetta su se déployer vocalement comme dramatiquement, mais l’on sent souvent la voix au taquet de ses possibilités, et la réserve vocale qui lui manque affecte aussi sa composition dramatique. Si la technique est parfaite, elle ne parvient pas à rendre le personnage émouvant.

Villazon a tout pour lui et Alfredo est devenu l’un de ses emplois fétiches. La voix n’était pas à son meilleur en cette soirée, un aigu ménagé n’empêchait pourtant pas le personnage de saillir avec une évidente vérité. Et même avec un chant réservé, le style, qui évoque celui du jeune Bergonzi, est purement divin Deux phrases de Yuri Kissin font soudain de la silhouette du Docteur Grenvil un personnage saisissant. Une paille et de taille : le Germont de Roberto Frontali : cette voix rouillée, ce chant syllabique ont déparé la soirée, ruinant le II. On n’avait jamais entendu un « Di Provenza il mar » aussi métrique, privé du plus élémentaire legato.

Mais pour la direction unique de Lopez-Coboz, pour Mula, malgré ses limites, pour Villazon qui sera plus en forme espérons le, cette Traviata vaut bien que vous lui consacriez une soirée, que l’on vous souhaite vierge de la cohorte de catarrheux qui ponctuèrent sans vergogne l’Addio del passato de la dévoyée.

Jean-Charles Hoffelé

La Traviata de Giuseppe Verdi, Opéra de Paris Bastille, le 2 avril 2004, jusqu’au 25 avril.

Photo : Eric Mahoudeau
 

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