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La Traviata au Teatro Regio de Turin - Les larmes amères de Violetta - Compte-rendu

Les chefs-d’œuvre résistent aux traitements scéniques les plus extrêmes, comme si les épreuves qu'ils subissaient ne pouvaient altérer ni la force de leur message, ni l'intégrité de leur contenu. Mais après avoir vu Violetta en fantôme de Marilyn Monroe chez Mussbach, ressuscitée en Edith Piaf chez Marthaler ou transformée en junkie grisée par l'argent chez Carsen, la retrouver si banale et finalement conforme au livret, dans la mise en scène de Laurent Pelly, suscite un grand regret. 
Créé à Santa Fe par Natalie Dessay en 2009 et déjà présenté sur la scène du Teatro Regio à plusieurs reprises – notamment la saison dernière avec Patrizia Ciofi - ce spectacle sans concept, ni originalité, desservi par d'affreux décors de Chantal Thomas (un enchevêtrement de boîtes-rochers cubiques et rectangulaires qui rappelle confusément des pierres tombales et des toits de Paris, séparé en partie au second acte par un terre-plein recouvert d'une méchante moquette verte), tristement éclairés par Gary Marder, illustre platement le propos, sans en renouveler la portée sociale, sociétale ou politique.

Reine des soirées parisiennes, Violetta « performe » en robe rose au milieu d'une société ivre de fêtes et d'alcool, avant de s'enticher d'un étudiant sans le sou et de sacrifier cet amour sur l'autel de la bonne conscience bourgeoise, sur fond de rédemption. Seule idée intéressante de la représentation, l’enchaînement du final du 2ème acte sur le prélude du 3ème, pendant lequel les invités de Flora entourent l'héroïne conspuée, la déshabillent avant de la déposer sur un lit et de recouvrir l'espace de draps blancs, signe avant-coureur de la mort imminente de la dévoyée. Direction d'acteur inexistante, gloussements intempestifs et mouvements « chorégraphiques » trouvés à la hâte pour animer les chœurs, accentuent cependant à plus d'un moment l'impression générale d'un travail quelque peu bâclé. 

Dans le rôle principal la moldave Irina Lungu, qui n'en est pas à sa première Traviata, est une heureuse surprise ; la voix est endurante et charpentée, la technique rigoureuse, le timbre assez prenant et le jeu naturel. Dommage que la charge émotionnelle que dégage son personnage soit si peu mise en avant, défaut déjà perceptible dans l’interprétation de sa Gilda à Aix l'été dernier, à la différence de son aînée Patrizia Ciofi, virtuose belcantiste, mais également tragédienne, qui vous tire les larmes dès le « Dite alla giovine » et vous les fait couler lors du célèbre « Addio del passato » (donné ici sans sa version courte). L'Alfredo Germont de Massimo Giordano est insupportable, ténor sans âme à la voix engorgée et aux moyens sommaires, d'ailleurs sanctionné par le public, le baryton Marco Di Felice étant seulement convenable dans le rôle de Germont père, qui mérite mieux que ce chant morne et cette émission grise.

Dans la fosse, service minimum assuré par Donato Renzetti, qui ne cherche à souligner ni la tension entre les protagonistes, ni à renforcer la cohésion parmi les pupitres, n'obtenant en fin de compte qu'une mise en place dénuée de toute expressivité et de singularité. 

François Lesueur

Verdi : La Traviata - Teatro Regio di Torino, 24 octobre 2013

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