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La Tétralogie au Festival de Bayreuth 2016 – Changement de perspectives – Compte-rendu

En quatre ans, cette production du Ring, tout en gardant ses fondamentaux et son rapport iconoclaste à la geste wagnérienne a subi quelques évolutions (1). Si la mise en scène de Frank Castorf rencontre la même opposition d’une partie du public (la représentation de Siegfried a de nouveau été huée cette année à la vue des crocodiles d’Alexanderplatz), notre point de vue s’est quant à lui modifié.
 
L’imagination de ce grand homme de théâtre plonge en effet à sa manière parfois déjantée dans le tréfonds de l’âme germanique et propose une vision très personnelle des événements qui ont conduit à la chute du communisme et à la mise en place de l’Allemagne néo-libérale. Le capitalisme y est certes stigmatisé (les nombreuses références à la crise du pétrole, au Dieu fric cher à Brecht), mais sans obérer le sens du fantastique, les souvenirs d’enfance et un regard sur le monde à travers la bande dessinée tel que Bettelheim le portait sur les contes de fées.

Marek Janowski © DR
 
A la place du remarquable Kirill Petrenko (appelé à d’autres tâches avant de prendre les rênes de la Philharmonie de Berlin), Marek Janowski fait, à 78 ans, son entrée au Festival de Bayreuth. La perspective s’en trouve quelque peu bouleversée dans la mesure où le chef, très critique depuis longtemps à l’égard des mises en scène modernes, préfère s’attacher au caractère symphonique du Ring au détriment de son aspect théâtral. Cela nous vaut de très beaux moments (Chevauchée des Walkyries, Marche funèbre de Siegfried…), une qualité de nuances et une volonté d’alléger le discours, un profond sens de la rhétorique wagnérienne et de la continuité narrative (Siegfried) mais peut aussi présenter une certaine neutralité (L’Or du Rhin manque d’arêtes, le début de La Walkyrie de tension et le souffle tellurique fait défaut au final du Crépuscule des Dieux). Sous cette baguette techniquement parfaite et expérimentée, subtile, dosée, la musique de Wagner se déroule tel un long fleuve mais paraît en décalage avec l’effervescence du plateau, où les chanteurs, faisant face le plus souvent au public, paraissent toutefois moins mobiles qu’auparavant.

L'Or du Rhin © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

La distribution a subi quelques changements. Très contesté en Siegfried, Lance Ryan a fait place à Stephan Vinke qui surmonte tous les écueils de son personnage avec autorité, endurance et projection bien que son chant ne soit pas le plus beau du monde.
Remplaçant Johan Botha, Christopher Ventris triomphe en Siegmund face à l’imposante Sieglinde de Heidi Malton dont l’ampleur d’intonation demanderait plus de finesse.
 
Superbe Alberich d’Albert Dohmen, homme de théâtre et timbre profond qui irradie par son incarnation d’une grande humanité. Sans être le Wotan de légende (que l’on n’attend hélas plus !), John Lundgren réussit à tirer son épingle du jeu, plus que Iain Paterson bien faible dans le même rôle pour le seul Or du Rhin.

Siegfried © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Omniprésent à Bayreuth, Georg Zeppenfeld a toute la prestance vindicative de Hunding ; en Mime, Andreas Conrad joue la carte ludique, favorisé par la conception imposée par le metteur en scène.
Admirable Fafner de Karl-Heinz Lehner dont la méchanceté et la cupidité transpirent en regard de la tendresse lyrique de Günther Groissböck en Fasolt. La Fricka de Sarah Connolly reste en retrait par rapport à l’autorité insupportable du personnage, alors que la prestation de Stéphanie Houtzeel en Waltraute de La Walkyrie (elle est aussi la Wellgunde des filles du Rhin) se révèle bien plus charismatique que celle de Marina Prudenskaya qui prend sa relève dans Le Crépuscule des Dieux.
Parmi les valeurs sûres, Catherine Forster a pris de l’assurance depuis 2013 et sert avec intelligence le rôle de Brünnhilde : elle impressionne par sa présence dans Les Adieux de Wotan ou dans L’Immolation du Crépuscule des Dieux.

Le Crépuscule des Dieux © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Si L’Erda de Nadine Weissmann ne convainc toujours pas, la Gutrune d’Allison Oakes fait preuve d’un réel tempérament face à ses frères Gunther (Markus Eiche, excellent comédien, également Donner dans L’Or du Rhin) et le brutal Hagen de Stephen Milling. Rôles secondaires bien distribués avec la Freia de Caroline Wenborne, le Loge de Roberta Kacca et le Froh de Tansel Akzeybek. Seul l’Oiseau de Ana Durlovski, par son filet de voix, paraît bien fragile sous ses immenses plumes.
 
On saluera une fois de plus la profondeur et la densité des chœurs préparés par Eberhard Friedrich (superbes dans le IIIe acte du Crépuscule). Imparfait mais virtuose, ce Ring intranquille et qui pose tant de questions par sa richesse d’intentions laissera incontestablement une empreinte sur le Festival de Bayreuth.
 
Michel Le Naour

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(1) Lire le CR d’août 2013 : www.concertclassic.com/article/la-tetralogie-au-festival-de-bayreuth-du-rififi-chez-les-dieux-compte-rendu
 
Festival de Bayreuth, Festspielhaus, 20, 21, 23, 25 août 2016
 
Photo La Walkyrie © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

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