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La Sylphide de Bournonville au Théâtre du Capitole – Retour aux sources – Compte-rendu

 

1836, quatre années après la création parisienne de La Sylphide de Taglioni, ballet qui allait devenir l’archétype du rêve romantique et modifier le regard porté sur la danse, le grand chorégraphe franco-danois August Bournonville créait au Ballet Royal de Copenhague sa version de la légende. En fait, émerveillé par ce qu’il avait vu à Paris, il souhaitait importer le ballet tel quel. Mais les droits se révélant trop importants, il se mit à la tâche, et demanda au tout jeune compositeur norvégien, Herman Severin Lovenskiold, de lui bâtir une musique aussi fraîche et gracieuse que celle de Schneitzhoeffer, sur laquelle reposait la première Sylphide. Et afin d'ouvrir en beauté cette nouvelle saison du ballet du Capitole, c’est la très soignée production de l’Opéra de Bordeaux qui a été choisie pour le public toulousain. 
 

© David Herrero
 
Sans véritablement la découvrir car le Ballet du Capitole en avait déjà montré une autre production, celle de l’Opéra du Rhin, en juin 2011, alors que Nanette Glushak dirigeait encore la compagnie. En fait de menues différences, à peine perceptibles et qui permettent surtout de s’attacher aux finesses chorégraphiques du style de Bournonville, si particulier. Et si difficile, car si la grâce romantique, irréelle que requiert le personnage ailé de la Sylphide, créé par Marie Taglioni, la plus surprenante ballerine du XIXe siècle, y est moins émouvante, en revanche, on trouve chez le chorégraphe danois, à la fois un sens dramatique plus poussé et la quête d’un équilibre suprême du corps, comme en harmonie avec l’équilibre des sphères. Peu de portés chez Bournonville, une absence voulue d’effets et de performances, mais des sauts qui requièrent, surtout chez les garçons, une suprême tenue des épaules, lesquelles ne doivent pas frémir, les bras se tenant le long du corps alors que les lever pour sauter donne tellement plus d’aisance et d’élan. Il faut, pour acquérir ce style dont l’académisme ne doit pas cacher l’élégance souple et aisée, un très long travail, une maîtrise que la compagnie toulousaine n’a peut-être pas eu le temps d’acquérir, malgré la présence, pour les initier à cette art particulier, de la grande Dinna Bjorn Larsen, ex-étoile danoise et prêtresse de l’école Bournonville.
 

© David Herrero
 
Reste que le ballet, tel que le propose le Capitole, demeure un enchantement, avec ses battements d’ailes et de chaussons délicieux, ses entrechats admirables, ses joyeuses danses paysannes, et la force dramatique du personnage de la sorcière Madge, l’une de ces créatures magiques comme les pays nordiques aiment à les portraiturer, alors qu’elles correspondent  moins à l’imaginaire français ou italien. Et grâce à quelques solistes de haut vol, notamment Natalia de Froberville, qui fut ici une Giselle bouleversante et donne à sa Sylphide la beauté de pieds exceptionnels et d’un port de tête d’une grâce exquise, tandis que ses bras demandent à frémir un peu plus finement, Excellente batterie aussi de Ramiro Gómez Samón, mise en valeur par le kilt virevoltant du héros James, même si lui aussi, tout attaché à l’épure requise par la chorégraphie, semble un peu empesé. Superbe également, le personnage du rival du héros, Gurn, régisseur de la ferme où se prépare le mariage, qu’incarne Kléber Rebello avec une fougue et une précision impeccables, tandis que Tiphaine Prévost, la fiancée trahie, fait pétiller son charme et que Jéremy Leydier donne à la sorcière une intensité remarquable pour un rôle que notre époque pourrait trouver ridicule.
 

Luciano di Martino © classicalia-international
 
Dirigé tout en légèreté par Luciano di Martino, l’Orchestre du Capitole, habitué aux grandes manœuvres opératiques, s’exécute avec bonne volonté pour donner quelque portée à cette musique facile, et le corps de ballet joue le jeu avec entrain. Image d’un idéal enfui, témoin d’une époque dont les rêves étaient si éloignés de la nôtre, cette Sylphide garde pourtant son pouvoir de séduction, et dit haut et clair que le désir ne doit rester qu’aspiration, sinon tout se brise. Ailes fragiles, certes, mais la peau dure !
 
Jacqueline Thuilleux
 

La Sylphide – Toulouse, Théâtre du Capitole, 20 octobre 2023 ; prochaines représentations les 24, 25, 27, 28 et 29 octobre 2023. www.opera.toulouse.fr 
 
Photo © David Herrero

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