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La Sonnambula selon Francesca Lattuada à l’Opéra Grand Avignon – Comme dans un conte des frères Grimm – Compte-rendu

Pas de chalets, de montagnes et de sapins pour cette Sonnambula. Mais un livre de contes dans lequel s’est plongée Francesca Lattuada pour signer une mise en scène onirique en diable qui en surprend plus d’un et séduit les autres. Les protagonistes semblent s’échapper des pages de ce livre : un comte Rodolfo comme un elfe, une Lisa à qui il ne manque qu’un miroir pour lui demander si elle est la plus belle, une Teresa qui a des faux airs de tata de Cendrillon, un fantôme chevelu sorti tout droit de l’univers de la Famille Addams… Et Amina ? Elle n’est autre qu’une femme-enfant promise au mariage et à l’amour qui s’est élevée dans le monde des rêves dès les premières minutes de la représentation, pour en redescendre au final et tomber dans les bras de son futur époux. Dans l’intervalle, c’est un cauchemar qui nous a été conté.
 

Julia Muzychenko (Amina) © Michael & Cedric – Studio Delestrade

Atteinte de somnambulisme, Amina est retrouvée étendue sur le lit du comte Rodolfo au terme d’une de ses errances. Elvino, son fiancé la répudie sur le champ pour se tourner vers Lisa qu’il courtisait autrefois. Mais cette dernière n’est pas restée insensible aux avances du Comte ; elle est confondue publiquement par Teresa, la mère adoptive d’Amina. Désespérée, la somnambule en crise apparaît ; convaincu de son innocence, Elvino lui repasse l’anneau nuptial au doigt. Surmontant la mièvrerie de l’intrigue, Francesca Lattuada livre une vision des plus originales, certes, mais aussi puissante, faisant parfois ressurgir des clichés terribles comme ceux des femmes tondues à la Libération, lorsque Elvino arrache de rage la perruque rousse de sa promise qu’il croit infidèle.
 
S’il faut de tout pour faire un opéra dégoulinant de romantisme, le librettiste Felice Romani a trouvé sans mal du grain à moudre avec cette intrigue d’Eugène Scribe. Fort heureusement Bellini compose ici un séduisant opera semi-seria, faisant se succéder de grands airs reliés entre eux par une musique délicate accompagnant aussi les voix en idéal complément. Quant au challenge vocal proposé par le rôle-titre, il est des plus attrayants et, de la Malibran à la Callas en passant par Natalie Dessay ou Patrizia Ciofi, les sopranos les plus en vue s’y sont frottées.
Pour cette production auvergnate — voir ci-dessous (1) –, Julia Muzychenko se glisse avec bonheur dans le personnage d’Amina. Toute l’innocence du monde transparaît dans son jeu, personnage fragile et vacillant sur les chemins de l’amour. Au service de cette incarnation, elle met une voix précise et superbement projetée, facile dans tous les registres et engendrant l’émotion sans aucune difficulté – du bel canto maîtrisé et séduisant.

 

Aliaksey Birkus (Rodolfo) & Julia Muzychenko (Amina) © Michael & Cedric – Studio Delestrade

Tant et si bien que son fiancé, incarné par Marco Ciaponi, a du mal à s’imposer face à elle. En retrait scéniquement, il est sur le fil du rasoir vocalement, alternant le bon et le moins bon. Francesca Pia Vitale offre une Lisa des plus crédibles, amoureuse déçue et beauté agressive en quête de reconnaissance. Et comme la voix – assurance et belle ligne de chant – est à la hauteur de la plastique, le résultat s'avère des plus agréables …
Plastron et coquille dorés, pantalon et bottines roses, ailes de papillon et longue chevelure blanche, le comte Rodolfo est incarné par Aliaksey Birkus avec humour et talent. Vocalement, il est élégant, facile et puissant, maîtrisant sans peine les exigences techniques de sa partie. Quant à Clarke Ruth, il apporte une belle présence scénique et vocale à Alessio tout comme Christine Craipeau à Teresa, deux rôles moins en vue de cet ouvrage. Gentin Ngjeta, le notaire, complète la distribution et la contorsionniste Lise Pauton apporte, elle, une contribution spectaculaire du meilleur effet à la production. A la tête de l’orchestre maison coloré et précis, Beatrice Venezi propose une lecture élégante et sensuelle . Une production qui va poursuivre son périple en France dans les mois à venir (1) : elle le mérite bien !
 
Michel Egéa

Bellini : La Sonnambula – Opéra Grand Avignon, 25 février 2022. Reprises : voir note ci-dessous
 
 
(1)  Le Concours international de chant de Clermont-Ferrand a la particularité de proposer des prix sous forme de contrats d’engagement pour des productions produites par Clermont Auvergne Opéra et ses partenaires. Ils étaient quatre lauréats à l’affiche de La Sonnambula à l’Opéra Grand Avignon : Julia Muzychenko dans le rôle-titre, Francesca Pia Vitale, Lisa, Aliaksey Birkus, Rodolfo et Clarke Ruth, Alessio. Cette coproduction de l’opéra de Bellini, créée à Clermont en janvier puis donnée à Vichy et Avignon, sera proposée en 2022 les 27, 29 et 31 mars à l’Opéra de Metz, les 13 et 15 mai à l’Opéra de Reims puis en 2023 les 7 et 9 avril à l’Opéra de Limoges, les 12 et 14 mai à l’Opéra de Massy et le 25 mai au Théâtre Impérial-Opéra de Compiègne.
 
Photo © Michael & Cedric – Studio Delestrade
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