Journal

La Passion selon saint Jean par l’Ensemble Pygmalion au 6ème Festival de Pâques d’Aix – Perspective nouvelle – Compte-rendu

On pourrait presque parler de « tradition » déjà et Renaud Capuçon l’a installée dès le lancement du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence : à chaque édition de la manifestation sa Passion de Bach, Saint Matthieu ou Saint Jean. C’était au tour de cette dernière de figurer à l’affiche du 6e Festival, confiée à l’Ensemble Pygmalion mené par son fondateur et chef Raphaël Pichon (photo). Entre musique germanique et française – sans exclure quelques incursions, superbes, en terre italienne –, Pygmalion vole de succès en succès ; résultat on ne peut plus légitime à en juger par la qualité musicale et la portée interprétative de chacune de ses apparitions.

Tandis qu’un splendide album Rameau (« Enfers », Harmonia Mundi) avec Stéphane Degout fait l’actualité discographique de l’ensemble, R. Pichon et ses musiciens sont au rendez-vous d’Aix pour une Saint Jean accueillie par un Grand Théâtre de Provence plein comme un œuf.
Aléas du concert, le ténor John Irvin, souffrant, a dû déclarer forfait en début d’après-midi. Pas de remplaçant disponible en un temps si court. Mais Julian Prégardien, qui tient le rôle de l’Evangéliste, sauve la situation et – bien qu’il n’ait pas chanté la partie de ténor depuis trois ou quatre ans – remplace (sans partition) son collègue, et de la plus admirable façon ! Précieux atout que la présence d'un artiste de ce calibre, aux côtés de Tomáš Král, sobre et émouvant Jésus, de Kateryna Kasper au soprano pur et lumineux, de Lucile Richardot, renversante d’intensité et d’intelligence musicale, et de Christian Immler, Pilate d’une belle ampleur.

© Caroline Doutre

Saint Jean de grand format, si l’on peut ainsi s’exprimer, que celle proposée par R. Pichon, qui prend le parti de précéder le « Herr, unser Herrscher » de l’anonyme O Traurigkeit, O Herzeleid ! (chanté par l'alto en coulisse), de glisser trois extraits de la Cantate BWV 159 Sehet ! Wir gehn hinauf gen Jerusalem (où T. Král et L Richardot font des merveilles !), mais aussi – pièce chère à Bach – le motet Ecce quomodo moritur de Jacobus Gallus entre les nos 31 et 32, et de terminer par le Choral Ach Herr, lass dein lieb Engelein.
Ces choix peuvent dérouter des oreilles accoutumées au déroulé habituel d’une partition sacrée devenue œuvre « de concert ». Ils sont une manière pour R. Pichon de se souvenir de la dimension liturgique et de la place de l’officiant dans le contexte originel d’exécution d’un Passion en introduisant une forme de « prêche en musique ».

Surprenant parfois, le résultat se révèle in fine pleinement convaincant par la perspective nouvelle qu’il ouvre sur l’ouvrage, dont la dimension théâtrale demeure tout en gagnant beaucoup en intériorité ; on comprend a posteriori combien la manière de traiter le chœur introductif juste après le Traurigkeit, O Herzeleid ! montrait la voie choisie. De ses choristes, le chef tire le meilleur avec une plénitude et une malléabilité assez phénoménales. Quant aux instrumentistes, l’art et le sens de la couleur (que de raffinement et d’invention dans le continuo) avec lesquels ils adhèrent à la conception générale de cette Saint Jean de haut vol achèvent de faire de la soirée l’un des grands moments du Festival 2018.
Rendez-vous cet été à Aix avec Raphaël Pichon, cette fois dans Mozart, à l’occasion de la reprise de la Flûte enchantée (m.e.s Simon McBurney) au Festival d’Art lyrique.

Alain Cochard

logo signature article

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 30 mars 2018

© Caroline Doutre

Partager par emailImprimer

Derniers articles