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La Malpaso Dance Company au théâtre des Champs-Elysées – L’autre Cuba – Compte-rendu

 
 
Voilà qui nous emmène bien loin des rigides défilés de cygnes soviétisants du Ballet de Cuba, que dirigea Alicia Alonso, ou des folles débandades d’un pays auquel on accole des rythmes déchaînés sur fond de fumée de cigares : du vrai et du poncif, du chromo, dont nous éloigne heureusement cette petite compagnie, conviée dans le cadre de la série TranscenDanses des Productions Sarfati,  et qui montre, sous le biais de la danse contemporaine, de simples humains habités par la soif de s’exprimer en dansant, de dire des émotions autres que folkloriques, de jouer la carte de la vérité nue.
 
Un spectacle auquel le seul reproche que l’on pourrait faire est qu’il est d’une certaine uniformité de ton, avec des costumes qui sont ceux du quotidien, et ne cherchent donc nullement à jouer le jeu du théâtre. Le tout donné sur bandes et enchaîné sans entracte. Peu d’argent, certes, pour ce petit groupe baptisé Malpaso, créé il y a une dizaine d’années par un brillant et inspiré danseur cubain, Osnel Delgado, lequel danse encore avec sa compagnie, mais un choix de chorégraphes qui dit assez l’estime en laquelle les grands de la danse contemporaine tiennent cet artiste : Ohad Naharin, pape de la danse israélienne, Mats Ek, maître de la sphère suédoise , outre Delgado lui-même.
 
Woman with water (Mats Ek) © Ivo Roberto Baelli 
 
De Tabula Rasa, dont Ohad Naharin dit qu’il l’a créé il y a trente ans et adapté aux mesures et à la sensibilité des danseurs cubains, on reçoit sinon le choc, car il s’y passe peu de choses, mais la vision d’ une sorte de défilé un peu déséquilibré, coupé de quelques beaux pas de deux : celui-ci, comme pensé plus que bougé, montre la profondeur de la sensation dansée chez les interprètes, et crée une troublante méditation à laquelle la musique planante d’Arvo Pärt contribue évidemment. En les voyant onduler sans aucun désir de séduction,  l’on se prend à réfléchir sur le pourquoi du mouvement tel que le vivent ces corps en suspens, alors que les danseurs classiques tendent surtout à nous montrer et faire briller le leur. Une descente profonde, incontestablement.
 
Tabula Rasa (Ohad Naharin) © Nir Arieli 

On a vu mieux, chez l’immense Mats Ek, que le peu lisible et austère Woman with water, où une femme danse avec une table et boit des verres d’eau pour se ressourcer. Intelligent certes, et marqué par quelques fortes figures, notamment dans le saut, qui sont caractéristiques du style et des obsessions du chorégraphe, mais qui engendrent un sentiment de déjà vu pour ceux qui ont suivi son aventure.
 
Enthousiasme, ensuite, réveil en fanfare avec le 24 Hours and Dog (photo), signé de Delgado, qui marie les corps avec une jubilatoire énergie, une simplicité dans les rapports et les échanges, une gaité sans contorsions qui donnent une leçon de rythme et de bonne humeur. Les dix danseurs y sont craquants de souplesse et de vitalité, sans une once de vulgarité. Ils ont soulevé la salle, à laquelle Mats Ek n’avait pas communiqué beaucoup de joie de vivre, malgré la classe de ses lignes de force… Leçon de vie que cette Malpaso Dance Company, grâce à la danse, revanche sur les mauvais sorts et la lourdeur des carcasses.
 
Jacqueline Thuilleux

 

 Théâtre des Champs-Elysées, le 28 mars ; prochaine représentation le 30 mars 2022 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2021-2022/danse-3/malpaso-dance-company
 

Photo © Bill Hebert

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