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La Maîtrise Notre-Dame de Paris (Chœur d’adultes) à Saint-Eustache – Exaltation du baroque italien – Compte-rendu

 
 
 
Haute école de chant et de langues à travers la fréquentation des grands foyers de musique sacrée, la Maîtrise Notre-Dame de Paris met chaque année l'accent, sous la gouverne d'Henri Chalet, sur divers aspects de son vaste répertoire, juxtaposant époques et pays sans craindre les défis et les contrastes marqués. Ainsi les derniers mois ont-ils été concentrés – survol partiel des domaines sans cesse remis sur le métier au gré du vivifiant renouvellement des chanteurs – sur les musique médiévale, française du XXsiècle et romantique allemande, jusqu'au concert parisien de rentrée, le 18 octobre à Saint-Eustache, intitulé France-Canada : l’amitié entre les peuples, mise en regard d'œuvres de Maurice Ohana, Robert Ingari, Francis Poulenc, André Cayer, Jean-Charles Gandrille et Yves Castagnet.
 
Abordé (en substance, car le contenu varie d'une prestation à l'autre) le 11 septembre en l'église Saint-Pierre d'Arromanches-les-Bains (Calvados), l'ambitieux programme « Musique baroque italienne » de la Maîtrise, centré sur Monteverdi, équivaut à une formidable mise en lumière du seul Chœur d'adultes, soit vingt-cinq chanteurs triés sur le volet, d'une qualité et d'une tenue individuelles et collectives hautement professionnelles. Musique sacrée : la langue, de nouveau à Saint-Eustache où la Maîtrise se sent pleinement chez elle, goûtant l'immensité du lieu et la sensation de « vaste intimité » qui l'accompagne, était donc le latin. À ceci près que celui de Monteverdi et consorts respire intensément la vocalità de la musique italienne de ce temps, du madrigal à l'opéra vénitien, notamment sur le plan de l'ornementation virtuose propre à la seconda prattica ou stile moderno.
 

Henri Chalet © Léonard de Serres
 
La dramaturgie s'apprécie aussi au regard de l'ordonnancement et de la progressivité dynamique des œuvres. Aux voix d'hommes entonnant a cappella et dans le lointain du chœur l'introït grégorien du 30ème dimanche du Temps ordinaire (Laetetur cor quaerentium Dominum) – le public (moins nombreux qu'en d'autres occasions et un peu tiède dans la manifestation de sa reconnaissance devant un programme d'une telle somptuosité) étant tourné vers la tribune du grand orgue, sous laquelle se tenaient les musiciens – fit suite un bond esthétique dans le temps tout simplement vertigineux.
 
Les qualités de solistes des membres du Chœur d'adultes furent d'emblée mises en exergue : Salve Regina Secondo de l'ultime recueil de Monteverdi, la Selva morale e spirituale, pour deux sopranos et orgue positif, naturellement tenu par Yves Castagnet, intense présence, toujours proportionnée, indéfectible soutien. Émerveillement devant l'harmonie fusionnelle des voix de Sarah Charles et de Rebecca Moeller, d'une aisance et d'une puissance, tant vocales qu'émotionnelles, proprement confondantes. Changement d'échelle : Christe, adoramus te (du Libro primo de motetti publié en 1620 par Giulio Cesare Bianchi) par le chœur mixte au complet, à l'orgue s'ajoutant la basse de violon ou violone : Adrien Alix. Toute la splendeur de Venise. Un degré de plus : Dixit Dominus Secondo (Selva morale), aux mêmes s'ajoutant deux violons baroques : Michel Coppé et Frédéric Martin. Énergie et lumière, sens des contrastes et des suspensions, génie mélodique et harmonique, respiration rythmique de la phrase, optimisation de l'instrument vocal : quel qu'en soit le format, il y a toujours quelque chose de miraculeux chez Monteverdi. Ce que ne fit que confirmer l'Ave maris stella du Vespro della Beata Vergine (1610 – monument figurant intégralement au répertoire de la Maîtrise), avec ses inimitables ritournelles de violons concertants.
 

© Léonard de Serres
 
Toute transition est dès lors à haut risque pour le compositeur qui s'ensuit. En l'occurrence Giacomo Carissimi et son Historia di Jephte (1648). Œuvre brillante qui, de prime abord, sembla… prosaïque (on ose à peine l'écrire), venant de l'idéale stratosphère montéverdienne. Jusqu'à ce que l'œuvre impose, très vite, sa propre lumière, singulière, son propre univers et, elle aussi, sa dramaturgie, rehaussée d'un renouvellement constant de situation au fil de cette histoire tragique. Cet oratorio offre l'avantage de pouvoir distribuer nombre de chanteurs du Chœur dans une succession de séquences solistes – à commencer par l'Historicus, tour à tour assumé par diverses voix, du ténor initial à la voix de soprano en passant par celle de baryton. Deux rôles solistes dominaient l'action : celui de Jephté, confié à David Hozman Checa, et celui de la Filia de Jephté : de nouveau Rebecca Moeller, non seulement grande voix et maîtrise vocale et stylistique impressionnantes, mais aussi un tempérament dramatique suscitant l'émotion par la seule ligne vocale et ses inflexions : magnifique. Il va sans dire que l'œuvre, théâtre sacré dense bien que de format relativement réduit, donne également au chœur un rôle de première grandeur.
 
En guise de transition, une pièce anonyme popularisée par L'Arpeggiata de Christina Pluhar (album Via Crucis), ici abordée de manière non pas « solistique » mais « chorale » jouant sur l'alternance des voix d'hommes et de femmes : Ciaccona di Paradiso e dell'Inferno – délicieuse respiration, sur son rythme obsessionnel et enivrant, entre le drame mis en musique par Carissimi et la suite du programme. À savoir l'Alma Redemptoris Mater de Francesco Cavalli (Musiche sacre, 1656) enchaînant directement sur le motet Cantate Domino de Monteverdi (Libro de 1620) – retour de la lumière montéverdienne, qui reste incomparable. A fortiori dans le final en apothéose : extraordinaire Gloria a 7 de la Selva morale, où chaque pupitre et maints solistes resplendissent d'éclat et de si musicale virtuosité. Ce programme d'apparat, auquel Henri Chalet insuffle énergie et plasticité, esprit de groupe et un sens affirmé de la beauté vocale, sera redonné, avec quelques variantes, dès le 3 décembre en l'abbaye de Fontevraud (1).
 
Michel Roubinet

Paris, église Saint-Eustache, 23 novembre 2022
musique-sacree-notredamedeparis.fr/boutique/concert/concerts-2022/musique-baroque-italienne-monteverdi-carissimi-gabrieli/
 
(1) Concerts de décembre 2022
musique-sacree-notredamedeparis.fr/categorie/concert/concerts-2022/?mm=12

Photo © Léonard de Serres

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