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​La Grande symphonie triomphale (version inédite de 1853) de Camille Saint-Saëns à la Seine Musicale – La piste belge – Compte-rendu

 
Evénement à la Seine Musicale, le 24 mai, puisqu’il s’agissait de découvrir la version première, inédite, de la Symphonie n° 1 de Saint-Saëns. On croyait en effet jusqu’ici que la pièce créée le 11 décembre 1853 à Paris, qui valut au jeune compositeur un commentaire particulièrement élogieux de Charles Gounod, correspondait à celle éditée en 1855 sous le titre : Symphonie n° 1 en mi bémol majeur, op. 2.
 
La piste belge
 
Le fait que certains témoignages relatifs à la soirée du 11 décembre 1853 fassent référence à « une symphonie pour deux orchestres » a mis la puce à l’oreille au musicologue Fabien Guilloux. Il a mené l’enquête et découvert que Saint-Saëns, alors jeune musicien de 17 ans en quête de reconnaissance, avait participé dans les premiers mois de 1853 à un concours organisé par l’Académie Royale de Belgique pour la composition d’un ouvrage pour orchestre symphonique et orchestre d’harmonie (dans l’esthétique de Beethoven, précisait le cahier des charges), ce en prévision des festivités accompagnant le mariage (le 22/08/53) de S.A.S le duc de Brabant et de la princesse Marie-Henriette, archiduchesse d’Autriche. Très au fait de l’évolution de la facture instrumentale et de l’apport d’Adolphe Sax côté vents, Camille avait conçu un ouvrage trop moderne et difficile d’exécution pour être choisi par le jury, présidé par Fétis. Parmi les 31 candidats (les pièces étaient soumises anonymement), il préféra celui d’un certain Hugo Ulrich.

 

L'Orchestre symphonique du CRR de Boulogne-Billancourt et la Musique des Troupes de Marine © Frédérique Trouslard - IReMus

« Vous avez contracté l’obligation de devenir un grand maître. »

 
Depuis cette date, une copie de le Grande symphonie triomphale dormait dans les archives bruxelloises, où Fabien Guilloux l’a retrouvée, avant d’entreprendre de l’éditer chez Bärenreiter – avec le soutien de l’Institut de recherche en musicologie ( UMR 8223 – CNRS, Sorbonne Université, BnF, Ministère de la Culture).
Si pratiquement aucune différence, à quelques petits détails d’orchestration près, n’apparaît dans les trois premiers mouvements par rapport à la Symphonie n° 1 publiée en 1855, le quatrième (Allegro maestoso) où l’Orchestre d’harmonie intervient offre un visage tout différent de celui que l’on connaissait jusqu’ici, réduit au seul orchestre symphonique.
D’un bout à l’autre de la partition, Saint-Saëns éblouit par l’aisance avec laquelle il manie les timbres instrumentaux. On pense évidemment à Beethoven dans le premier mouvement, à Mendelssohn dans le deuxième mais, par-delà ces influences, le Français est déjà présent tout entier par sa science de l’orchestre – et sa poésie. L’enthousiasme de Charles Gounod se comprend, qui écrivait à son cadet : « Vous êtes très au-dessus de votre âge : marchez toujours – et souvenez vous que vous avez contracté, dimanche 11 décembre 1853, l’obligation de devenir un grand maître. ».

 

L' Orchestre symphonique du CRR de Boulogne-Billancourt © Frédérique Trouslard - IReMus

 
L’influence du grand opéra français
 
Grâce à l’engagement et à l’impeccable fini instrumental des jeunes musiciens de l’Orchestre symphonique du CRR de Boulogne-Billancourt, mené par Jean-Luc Tourret, le précoce génie de Saint-Saëns se révèle tout entier. C’est grâce au magnifique ensemble de la Musique de Troupes de Marine (photo (1)), venu s’associer – avec un bonheur visible – à la phalange du CRR, que l’on découvre, avec tout son relief, la première mouture du finale. Comme le souligne Fabien Guilloux, l’influence du grand opéra français, de Meyerbeer en particulier (Le Prophète, avec sa fameuse Marche, fut créé en 1849), s'y fait sentir.

 

Roman Pausanias © Concertclassic
 
Une magnifique découverte et la conclusion d’un programme qui avait auparavant permis d’entendre la Musique des Troupes de Marine dans Orient et Occident op. 25 de Saint-Saëns et dans la belle et foisonnante Danse satanique (2015) de Pierre Kosmicki, sous la direction vivante et très évocatrice de Grégoire Michaud.
Quant à l’Orchestre du CRR de Boulogne et Jean-Luc Tourret, ils ont pour leur part offert l’ouverture du Carnaval romain de Berlioz, remarquable de prestesse et de lyrisme, et tout aussi réussie, la Danse macabre de Saint-Saëns, dans laquelle s'est distingué l’archet – de grande tenue – de Roman Pausanias. Un violoniste dont vous entendrez sûrement reparler ...
 
Alain Cochard
 

Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale, 24 mai 2025
 
(1) Site de la Musique des Troupes de Marine : www.terre.defense.gouv.fr/commat/ensemble-musicaux/musique-troupes-marines/musique-troupes-marines
 
Photos © Frédérique Trouslard - IReMus

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