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La Flûte Enchantée selon Numa Sadoul à l’Opéra de Marseille – Coup de jeune chez les Frères trois points – Compte rendu

Partant du principe que le livret de Schikaneder est tiré de contes pour enfants, le bédéphile Numa Sadoul n’a pas hésité une seconde à donner un bon coup de jeune à la mise en scène de La Flûte enchantée en usant, sans abuser, de sa passion pour la BD et de la présence, sur le plateau, des trois garçons, certes, mais aussi d’une petite cohorte d’enfants sauvages en lieu et place des animaux. Et ce, sans pour autant négliger la symbolique maçonnique de l’œuvre qui tenait tant à cœur à Mozart. Coproduite avec l’Opéra de Nice où elle fut créée en décembre 2016, c’est avec cette production qu’à deux pas du Vieux-Port l’établissement lyrique phocéen a choisi d’ouvrir sa saison.

Corto Maltese, Lucky Luke et le capitaine Haddock, les trois enfants autour de Papageno © Christian Dresse

Ce sont les trois garçons qui animent le plateau alors que l’orchestre joue les dernières notes de l’ouverture du Singspiel. Histoire d’affirmer leur omniprésence puisqu’ils seront aux côtés de Pamina, Tamino et Papageno tout au long de leur voyage initiatique, apportant réconfort, aide et sérénité. Ce juvénile trio nous prend par la main pour nous guider dans la fable. Tout au long de l’action, les trois gamins revêtiront les costumes des héros de leur temps, ceux de Batman, Tintin, Spirou ou encore Corto Maltese et autres. Héros éphémères, compagnons de lectures et de rêves des adolescents, les costumes passent mais l’humanité des enfants demeure. La mise en scène est basée sur l’opposition : homme / femme, blanc et noir, jour et nuit, nature et architecture, tout ceci se terminant avec le refus de Pamina de jouer cette opposition pour laisser triompher un monde meilleur unissant harmonieusement les éléments de la dualité. Alors, même si certains détails peuvent surprendre, le propos du metteur en scène et de son équipe tient la route ; et ce ne sont pas quelques timides protestations entendues ça et là aux saluts, qui les feront sortir du chemin.
 

Pamina et Sarastro © Chistian Dresse

Les trois enfants appartiennent à la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dirigée par Samuel Coquard. Des brins de voix souvent jolis, pas vraiment assurés de temps en temps ; il est vrai qu’ils ont dû assumer certes le chant, mais aussi une importante présence scénique ne favorisant pas leur concentration. Anne-Catherine Gillet est une charmante Pamina ; belle voix mozartienne, son soprano a gagné, semble-t-il, dans les graves, l’aigu demeurant élégant mais un peu moins affirmé. Les « tubes » de la reine de la nuit, rôle dont elle s’est fait une spécialité depuis 2006, étaient affrontés par Serenad Uyar. Une fois de plus la soprano turque s’en est parfaitement sortie, donnant toutes les notes avec justesse, certaines plus facilement que d’autres ; mais le compte y était. Caroline Meng fut une Papagena espiègle, Anaïs Constans, Majdouline Zerari et Lucie Roche campant les trois dames avec aisance.
 

Les « forces du mal » : Monostatos, la Reine de la nuit et les trois dames © Christian Dresse

Convaincant, le Tamino de Cyrille Dubois (photo) le fut, physiquement et vocalement. C’était pour lui une prise de rôle assurée avec talent. Jeune prince charmant, le ténor trentenaire a fait valoir une ligne de chant superbe, une voix très mozartienne et une projection idéale. A ses côtés le Papageno de Philippe Estèphe, oiseleur et magicien pour les besoins de la mise en scène, est agréable scéniquement et vocalement. Wenwei Zhang offre un imposant Sarastro, avec une voix limpide et puissante, bien plus à l’aise dans les aigus que dans les graves. Loïc Felix, excellent Monostatos, Frédéric Caton, l’Orateur, Guilhem Worms et Christophe Berry, prêtres et hommes armés, complétant idéalement la distribution. Un mot, pour terminer, sur l’excellence du chœur de l’opéra dirigé par Emmanuel Trenque et sur le son d’un orchestre de Marseille techniquement au point mais que l’on aurait aimé plus mozartien sous la baguette parfois languissante de Lawrence Foster. Des détails, certes, mais de ceux qui font d’une belle représentation une représentation exceptionnelle.

Michel Egéa

Mozart : La Flûte enchantée – Marseille, Opéra,  24 septembre ; prochaines représentations les 26, 29 septembre et les 1er, 3 et 6 octobre 2019. opera.marseille.fr

Photos © Christian Dresse

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