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La Fevis tire la sonnette d’alarme – « La crise a tué intégralement la saison des ensembles "

Avec plus de 150 membres au total, la Fevis (Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés) regroupe une grande variété d’ensembles de musique de patrimoine ou de création ; autant d’acteurs essentiels d’une vie musicale française foisonnante, qui fait pas mal d’envieux à l’étranger. « Ces ensembles indépendants, rappelle Louis Presset (photo), délégué général de la Fevis, ont été conçus par les artistes eux-mêmes, avec la volonté de construire un projet musical pérenne. Leur budget relève en moyenne pour un tiers de subventions et pour le reste de la billetterie, de la vente de concerts, etc. ; ils agissent donc en véritables petits entrepreneurs culturels. »

D’importantes pertes sèches

Les effets de la crise sanitaire se révèlent proprement dramatiques pour eux, comme le montrent les conclusions de l’enquête (1) que la Fevis a menée du 29 avril au 12 mai auprès d’un très large échantillon (91 ensembles), en tenant compte des annulations définitives ou en passe d’être confirmées.
« Rapportée à l’année entière, plus de la moitié de l’activité en termes de chiffre d’affaire s’est éteinte, et cela ne comprend que les mois de mars, avril, mai, juin et juillet, mais des annulations tombent encore jour après jour pour l’automne, constate L. Presset. La crise a tué intégralement la saison des ensembles, qui sont des employeurs d’artistes. Si l’on considère l’intégralité des dispositifs d’aide mis en place par l’Etat, par les collectivités, par le secteur, il reste une part très importante de pertes sèches (que l’étude chiffre à plus de 2,24 millions € pour les 91 ensembles, soit une perte moyenne de près de 25 000 € par ensemble). »

Des mesures exceptionnelles, mais insuffisantes ...

Des mesures ont certes été mises en œuvre par les pouvoirs publics, et la Fevis s’en félicite. «S’agissant du chômage partiel, nous avons fait partie des organisations qui ont dès le départ demandé à pouvoir en bénéficier et nous en avons eu la confirmation assez vite par le ministère de la Culture. C’était une chose essentielle pour les ensembles et pour les employeurs du spectacle, même si l’on peut regretter que cela ait été techniquement long à se mettre en route. » L. Presset ne se réjouit pas moins de l’annonce de l’année blanche, essentielle pour la « survie sociale » des intermittents.

Aussi exceptionnelles soient-elles, ces mesures s’avèrent toutefois « insuffisantes pour faire face à l’ampleur de la crise, à l’arrêt complet des activités pendant autant de temps. Elles ne permettent pas de reprendre l’activité et même ne permettent probablement pas la survie de beaucoup de structures, constate avec inquiétude le délégué général. Le chômage partiel est une très bonne chose, mais le reste à charge est important – y figurent par exemple les congés spectacles, qu’il ne s’agit aucunement de critiquer, mais qui représentent quasiment 15% de la masse salariale. La construction opérationnelle du dispositif de chômage partiel pour la Culture reste extrêmement complexe et s’accompagne d’une très grosse perte sèche pour les employeurs, ce d’autant qu’une partie du secteur musical, et culturel plus généralement, ne relève pas du statut des intermittents (agents, attachés de presse, mais parfois aussi, cas plus rare, artistes aux cachets élevés qui ne peuvent s’insérer dans le dispositif). »

Les mécènes au rendez-vous

Avec la survenance de la crise, certains organismes de gestion collective, tels que la Sacem ou l’Adami, ont mobilisé très rapidement des fonds pour venir en aide aux ensembles. Ce que la Fevis salue –  autant qu’elle regrette l’attitude peu rassurante, sinon anxiogène de la Spedidam dans un contexte très difficile pour les artistes ...
S’agissant des opérateurs privés, le plan d’urgence de 2 millions € annoncé par le Mécénat Musical Société Générale (2) a été très bien reçu , et L. Presset ne manque pas par ailleurs de rappeler le « rôle majeur, structurant », que des mécènes tels que MMSG, la Fondation Orange ou la Caisse des Dépôts et Consignations jouent dans le fonctionnement des ensembles et pour la musique en France.

La Culture, victime n° 1 de la rigueur sanitaire

Face aux menaces qui pèsent sur les ensembles, les festivals et diverses structures, la Fevis en appelle à une reprise rapide de l’activité. Mais « la rigueur du protocole sanitaire qui s’applique à l’économie la rend quasiment impossible. La clef de notre secteur est que le ministère de la Culture obtienne des dérogations, réfléchies avec beaucoup de soin. » Quand les restaurants et les salles de sport rouvrent, que la SNCF remplit ses trains, on comprend l’amertume du porte-parole d’ensembles aujourd’hui en très grande difficulté, et parfois en péril : «Nous avons l’impression que le secteur culturel doit être le seul à subir l’intégralité de la rigueur des contraintes sanitaires. »

De la nécessité d’une réseau puissant

De quoi sera fait l’avenir ? On peut en tout cas compter sur la vigilance de la Fevis. « Nous sommes inquiets, avoue L. Presset, nous redoutons que la crise ne soit prétexte pour tous les décideurs publics, au moment d’arbitrages budgétaires, à des choix en défaveur du secteur culturel, nous craignons que la crise du Covid ne justifie des réductions, éventuellement énormes, de subventions, d’aides, etc. C’est une inquiétude majeure et nous sommes prêts à nous battre contre ça. »
Reste que les événements récents ont mis en évidence des faiblesses structurelle du secteur musical. L’étude de la Fevis révèle des indemnisations très faibles (6,7% des représentations annulées seulement ont fait l’objet d’une indemnisation). « La musique de patrimoine et de création ne dispose pas de réseau spécialisé de diffusion et de production, souligne L. Presset, à la différence du théâtre avec les CDN (3) ou de la danse avec les CCN (4). Quant aux Scène nationales, lieux pluridisciplinaires, elles sont en général plus engagées dans le théâtre et la danse. Les dates qui avaient été « achetées » aux ensembles étaient le fait de producteurs et d’organisateurs beaucoup plus fragiles. Il nous manque un réseau de salles puissant qui nous aide à produire, à coproduire, à diffuser ». Et à mieux faire face à des tempêtes telle celle, sans précédent, qu’essuient en ce moment les ensembles de musique ...

Alain Cochard
(Entretien avec Louis Presset, réalisé le 10 juin 2020)

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