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La Chronique d'Emilie Munera - Ravel et la modernité

 Maurice Ravel est-il le plus célèbre des compositeurs français ? Très probablement, et notamment grâce à son Boléro que 73% des français disent avoir déjà entendu  – dans quel monde vivent donc les 27% restant ? 

La Pavane pour une infante défunteLa Valse, le Concerto en sol ou Tzigane sont d’autres pièces connues et fréquemment interprétées contribuant ainsi à sa popularité. Est-ce la sensualité de cette musique qui fédère le public ? C’est l’attribut qui apparaît en tout cas le plus souvent attaché à son œuvre. Tapez donc le nom de Maurice Ravel sur internet, et vous le trouverez partout : sensualité harmonique, sensualité ardente ou exotique. Ajoutez à cela les termes impressionnisme, clarté et transparence et vous aurez pour le plus grand nombre la définition exacte de sa musique (et d’une bonne partie de la musique française de cette époque).

En revanche, le terme “moderne” est peu usité pour la qualifier. Les Chansons madécasses, la Sonate pour violon et violoncelle – chef-d’œuvre méconnu s’il en est – ou même La Valse utilisent pourtant un langage musical résolument moderne. Mais à l’heure où Stravinsky et Schoenberg composent eux aussi leurs partitions majeures, la musique de Ravel apparaît moins radicale aux oreilles des auditeurs. Elle l’est pourtant … moderne et sombre même, et c’est ce que deux pianistes ont aujourd’hui décidé de mettre en lumière. L’un est français, l’autre japonais.

Tom Carré © jonagraphe

Débutons par le Français Tom Carré, musicien de 24 ans, formé au Conservatoire de Paris par Denis Pascal. Ravel est l’un de ses compositeurs fétiches. Il a eu l’occasion de le jouer dans différents concerts et concours récemment, et il vient d’enregistrer ses Miroirs (1) : on y découvre des Noctuelles prises de sursauts, au vol presque épiletpique. On y entend une Alborada del gracioso acérée et tranchante, qui claque comme un coup de fouet. Surprenant mais totalement jouissif. Si vous trouvez les interprétations contemporaines trop uniformes, vous ne serez pas déçu par cette vision ravélienne atypique qui s’éloigne des canons habituels. Un Ravel résolument moderne et provoquant qui peut dérouter mais qui vous ne laissera probablement pas indifférent.

Keigo Mukawa © keigomukawa.com

La vision de Keigo Mukawa est moins radicale mais tout aussi saisissante. Après l’avoir entendu lors de l’édition 2019 du Concours Long-Thibaud, j’avais été séduite par son jeu inspiré, poétique et diablement singulier pour un musicien passant un concours. Keigo Mukawa a décroché le 2e Prix de la compétition parisienne. Il se hissera à la 3e place du Concours Reine Elisabeth deux ans plus tard. Ce pianiste japonais s’est ouvert à la musique française dès son arrivée à Paris, quand il a intégré le Conservatoire, dans la classe de Frank Braley. Parmi tous nos compositeurs, c’est Ravel qui l’a particulièrement inspiré : au point qu’il a travaillé toute son œuvre pour piano. Après l’avoir donnée en concert, il l’a enregistrée.(2) Chez Mukawa, la modernité se retrouve dans les brusques changements de tempo et dans les soudains contrastes dynamiques qui donnent un côté exalté et halluciné à l’univers de Ravel. Une vision ultra précise, ne laissant passer aucun détail, et témoignant d’une grande maturité pour un artiste qui fêtera cette année ses 30 ans. “C’est la coexistence de la passion et du perfectionnisme qui m’attire chez Ravel” dit-il. Et c’est peut-être justement l’équilibre à trouver lorsqu’on joue la musique de cet horloger-suisse au tempérament fougueux.

Emilie Munera

 

(1)       « Noctuelles » ( Ravel : Miroirs + Schumann : Humoreske) – 1CD Scala Music SM005

(2)       2 CD NOVA Records  

 

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