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La Chronique de Jacques Doucelin - Voir Wagner en peinture

Temple de la modernité, la Cité de la musique a hissé les couleurs wagnériennes en cette fin d’année en accueillant dans son musée jusqu’au 20 janvier 2008 une exposition venue de Genève et consacrée aux peintres européens inspirés par le compositeur allemand et par son œuvre. Elle est intitulée « Richard Wagner, visions d’artistes » et sous titrée « D’Auguste Renoir à Anselm Kiefer », celui-là même qui vient de faire son entrée au Louvre de son vivant. Tout un contrepoint musical est, en outre, prévu à La Villette, et pas seulement avec les bandes-son des films qui ont puisé dans les Leitmotive de sa dizaine d’opéras, mais avec des concerts d’œuvres marquées au sceau du wagnérisme.

Car justement, comme l’atteste sa vaste descendance musicale, Richard Wagner fut un révolutionnaire en musique après l’avoir été politiquement lors des troubles qui secouèrent toute l’Europe en 1848 et qui le contraignirent à l’exil hors d’Allemagne jusqu’en 1860. Il y a là toute l’ambiguïté de son legs et toute l’ambivalence du personnage comme de l’artiste. Ce fut le Boulez, ou plutôt le Stockhausen de son siècle avant de devenir le porte-drapeau du nationalisme d’outre Rhin, voire du pangermanisme. S’il regardait vers les légendes gothiques du moyen âge et s’il sacrifiait à la langue de ces temps reculés dans les livrets qu’il écrivait lui-même, sa technique de composition comme son harmonie ont pourtant conduit directement à la technique dodécaphonique que ses thuriféraires du 3ème Reich abhorraient et traitaient d’« art dégénéré » !

Ca n’est pas le moindre des paradoxes du wagnérisme. Si vous ajoutez à cela, pour ce qui concerne les Français, la guerre de 1870 suivie par l’annexion de l’Alsace- Lorraine, vous comprendrez les réticences de nos musiciens, à commencer par Debussy, à confesser leur dette à l’endroit de Wagner, emblème du nationalisme prussien. Et pourtant, une saison musicale parisienne ne suffirait pas à débusquer toutes les traces de wagnérisme dans la musique française au tournant des XIXe et XXe siècles. Elle déborderait largement, en effet, la petite cohorte des compositeurs parisiens qui avaient fait crânement le pèlerinage sur la « Verte colline » de Bayreuth munis de leur Lavignac en guise de guide dans la forêt des Leitmotive

Il n’y eut pas que des musiciens pour succomber au culte wagnérien. Les beaux arts n’ont pas été moins fascinés. Ce qu’atteste la riche exposition rassemblée au musée de la Cité de la musique Elle se déroule entre deux portraits emblématiques : l’officiel du Munichois Franz von Lenbach qui peint le gardien du grand art allemand, sorte de Hans Sachs coiffé du béret de Luther, et l’instantané saisi à Palerme par notre Renoir en 1882 juste après l’accouchement de Parsifal et quelques mois avant la mort à Venise.

Le doux Fantin-Latour et l’étrange Odilon Redon succombèrent de concert aux charmes vénéneux de cette musique amniotique. Si quelques rares esprits forts osèrent l’humour contre les Nibelungen, il faut attendre le déferlement de la folie nazie pour qu’Anselm Kiefer peigne, voici trois décennies, le tragique enchevêtrement des sillons enneigés de sa toile intitulée « Siegfried oublie Brünhilde » dénonçant la récupération des héros wagnériens par le 3ème Reich.

Une exposition qui donne à réfléchir car elle met en perspective. Ça n’est pas si courant.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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