Journal

La Chronique de Jacques Doucelin : Nouveaux chefs dans l’Hexagone ou le carrousel des chaises musicales

C’est toujours, bien au-delà des querelles de personnes ou de clochers, une question de génération qu’il faut bien renouveler. S’il arrive, certes, parfois qu’un chef âgé remplace un jeune, c’est pour corriger le tir et réparer les erreurs du cadet… En règle générale, il convient plutôt d’assurer la succession d’un cacique. Chez nous, la durée moyenne de la présence d’un chef à la tête d’un orchestre est d’environ une décennie… avec des exceptions dans les deux sens ! Il y a ainsi des divorces si rapides qu’ils s’apparentent à des ruptures de contrat ! A l’inverse, Jean-Claude Casadesus bat des records de longévité à Lille (35 ans en 2011 !). Mais c’est pour lui devenu un sacerdoce.

Michel Plasson avait fait aussi bien au Capitole de Toulouse depuis 1968 lorsqu’il le quitta pour le Philharmonique de Dresde, et dernièrement pour l’Orchestre National de Chine. Lourde succession à la tête d’une phalange estampillée à juste titre « musique française ». Les musiciens et la municipalité eurent la sagesse d’opter pour un tout jeune chef de 24 printemps venu de l’autre bout de l’Europe – Saint Petersbourg – le Russe Tugan Sokhiev. La greffe fut une telle réussite que les élus viennent de prolonger son mandat jusqu’en 2016.

On ne peut que se réjouir quand des choix intelligents se traduisent par une réussite tous azimuts : l’engagement de 25 instrumentistes supplémentaires va permettre de multiplier les concerts pour mieux répondre à une demande sans cesse accrue tout en préparant le public de demain par une politique volontariste en direction des scolaires, sans pour autant diminuer la participation des musiciens à la programmation de l’Opéra toulousain. Malgré les aléas des us et coutumes locaux, la vie musicale niçoise est en passe de retrouver la vigueur qu’avait su lui insuffler Pierre Médecin avec l’engagement au côté de l’administrateur expérimenté Jacques Hédouin d’un enfant du pays le chef Philippe Auguin dont tout le début de carrière s’est effectué à l’étranger, en Allemagne notamment.

Paris n’est pas en reste et cette rentrée y a été marquée, comme on a pu le noter avec plaisir à plusieurs reprises, par la prise de pouvoir effective de chefs désignés bien en amont. Deux divines surprises tout d’abord. C’est celle de la phalange de prestige de l’Etat et de la Ville, l’Orchestre de Paris qui passe des mains du pianiste Christoph Eschenbach à celle de l’Estonien Paavi Järvi, fils de l’immense Neeme Järvi formé à l’école soviétique de Mravinsky. En voilà un qui ne brasse pas l’air, mais qui sait où il va et le dit avec des gestes quasi chirurgicaux. On l’attendait : on n’est pas déçu. Vrai sosie de Poutine, il n’a pas le sourire facile, mais il a trouvé le langage pour hisser ses troupes sur les sommets : travail et discipline. Ca ne fait jamais de mal.

Seconde surprise : on s’inquiétait pour l’avenir tout court de l’Ensemble Orchestral de Paris : la greffe a bien pris et l’arrivée de Joseph Swensen, chef et violoniste, pour entraîner une formation déjà partiellement rajeunie a porté des fruits plébiscités par un public de fidèles. Chaque ouvrage qui lui est confié vient confirmer que Nicolas Joel a fait le bon choix en nommant à la direction musicale de l’Opéra de Paris Philippe Jordan qui après un début prometteur de la Tétralogie de Wagner vient de s’imposer dans le délicat Triptyque de Puccini. Paris retrouve une figure musicale digne de ce nom avec des maestros encore jeunes, mais dotés déjà d’une solide expérience.

Le seul bémol de cette rentrée, c’est la confirmation que l’Italien Daniele Gatti est un peu mince pour assurer la succession d’un Kurt Masur à la tête de l’Orchestre National de France. C’est ainsi que son intégrale Mahler entreprise au Châtelet fait bien pâle figure face à celle d’un Gergiev programmée salle Pleyel, et ses autres programmes n’ont guère convaincu. On comprend que la nouvelle direction de Radio France avance sur des œufs avant de désigner le successeur de Myung Whun Chung qui achève cette saison sa décennie avec le Philharmonique de la Radio : on cherche l’oiseau rare et il y faut du temps, car les vrais bons chefs, même inconnus du grand public, ont tous des engagements pour plusieurs années. Un communiqué devrait bientôt venir confirmer que le chef coréen partant accepterait de demeurer à son poste un an de plus pour laisser du temps au temps et à son futur successeur le temps de se dégager. Si cela permet d’éviter une boulette commise dans une hâte excessive, qu’il en soit remercié !

Jacques Doucelin

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Jacques Doucelin
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles