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La Chronique de Jacques Doucelin - Les affiches ne disent pas tout !

C'est une affiche banale en hauteur qui se cache dans un recoin de la station de métro Miromesnil – c'est là que je l'ai découverte au hasard d'un déplacement, mais de nombreux témoins m'ont confirmé qu'elle fleurissait sur d'autres panneaux parisiens. Sous le label « Pleyel », s'étale en caractères rouges la formule aussi péremptoire que provocatrice suivante : « Tout sauf le classique ». Suit à la verticale la liste des artistes de variétés qui s'y produiront cet été en juillet et en août. Rien dans tout cela que de très normal : le fameux cross-over n'est pas une idée neuve et il y a belle lurette que des vedettes de la chanson se produisent aussi bien à Pleyel qu'au Théâtre des Champs-Elysées ou au Châtelet, et pas seulement pour des galas caritatifs. J'ajouterai dans l'autre sens que l'Olympia accueille aussi Jean-Claude Casadesus et ses musiciens lillois. Et c'est très bien ainsi : le croisement des publics est toujours un acte positif.

Pas de quoi en faire un plat, encore moins une chronique... n'était la formulation particulièrement abrupte qui révèle une évidente intention ségrégative à double détente. Sans vouloir entrer dans le jeu facile de l'explication de texte, elle vise à racoler ceux qui méprisent le classique (« parce que c'est élitiste, chiant, bourgeois, etc. » : vous connaissez la chanson !) tout en choquant le public traditionnel de la vénérable salle de concerts, qui se sent, lui, soudain agressé, objet de mépris de la part des commanditaires de l'affiche. Or, ces derniers sont précisément ceux qui concoctent à son intention la programmation ultra-classique des saisons à l'affiche de la salle Pleyel depuis sa réouverture en 2004. C'est en méditant, non sans quelque incrédulité, cette bizarre contradiction que je montais dans ma rame de métro. Les secousses du bon vieux Nord-Sud brassent si bien ma cervelle que soudain, tel le célèbre inspecteur Bourrel, j'ai la révélation: « Mais c'est bien sûr ! »

Toutes les pièces du puzzle s'étaient soudain mises en place et s'emboitaient avec une logique implacable. Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de l'histoire, il faut remonter au 1er avril dernier lorsque l'Agence France Presse mit au jour un gros poisson pêché dans le collectif budgétaire de printemps. On y trouvait, en effet, une « ligne » de quelque 60,5 millions d'euros destinés au rachat anticipé de la salle Pleyel par l'Etat à son propriétaire privé Hubert Martigny. En pleine débâcle financière mondiale, y avait-il à ce point urgence ? Oui, « pour raisons familiales » ont indiqué certaines gazettes en se référant au résistible divorce de l'homme d'affaires d'avec son épouse, l'ancienne chef d'orchestre Maria Carla Tarditi. Décidément, la République semble bonne fille...

Mais est-ce si sûr ? En effet, au terme d'un gentleman agreement, le propriétaire privé ayant accepté de rénover la salle Pleyel de fond en comble pour une somme de 27 millions d'euros (ce qui a été fait et bien fait), l'Etat s'engageait à lui verser 1,5 million d'euros par an durant une période de 50 ans. Après quoi, l'Etat français se fût retrouvé seul et unique propriétaire de la célèbre salle et de l'immeuble qui l'abrite. Seulement dans l'intervalle, il a été décidé de construire deux nouvelles salles de concerts dans Paris : un auditorium de 1.500 places à la Maison de la Radio et une Philharmonie de 2.400 places à la Cité de la Musique de La Villette. Le tout à l'horizon 2013. Pas la peine d'être un génie ou un devin pour voir qu'à terme la salle Pleyel allait être de trop...

Laurent Bayle qui dirige à la fois la Cité de la Musique et la salle Pleyel en attendant que Jean Nouvel ait achevé la future Philharmonie, n'a pas usé de la langue de bois. Il a déclaré tant dans des interviews que lors de l'annonce de la prochaine saison à Pleyel que cette salle serait à partir de 2013-2014 dévolue à la seule variété et qu'il en abandonnerait dès lors la gestion. Il a même évoqué son rachat éventuel par un organisateur de concerts de variété. C'est précisément là que viennent s'emboîter les deux dernières pièces du puzzle : le rachat de la salle à son propriétaire privé qui permet désormais à l'Etat de rechercher en toute liberté un acheteur dans le monde du showbiz ; et l'actuelle campagne publicitaire que nous découvrons dans le métro et qui vise, d'abord, des repreneurs éventuels en prouvant qu'on fait d'ores et déjà autre chose que du classique à Pleyel. L'affirmation d'une nouvelle vocation pour faire monter les enchères : c'est de bonne guerre.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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