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La chronique de Jacques Doucelin - La France lyrique sort du jacobinisme
Le temps n'est pas si lointain où le qualificatif d'« écrivain régionaliste » valait encore brevet d'infamie dans le monde très parisien des lettres ! La musique et l'opéra semblent aujourd'hui en passe de corriger joliment cette tendance inspirée par le plus étroit des jacobinismes. L'invention, voilà une quarantaine d'années, de l'idée de région en lieu et place de nos vieilles provinces passées de mode, a produit au fil des ans des fruits inattendus dans le domaine du spectacle vivant. Certes, le désengagement financier de l'Etat en matière culturelle, accéléré ces temps-ci, a joué un rôle déterminant dans ce processus d'émergence de pôles régionaux lyriques et musicaux.
L'ironie de l'histoire, c'est que l'Etat énarchique et jacobin qui cherche toujours à reprendre d'une main ce que l'autre a été contrainte de lâcher, a essayé de compenser son susdit désengagement financier par l'invention d'un nouveau lien de vassalité en inventant le fameux « label national » octroyé parcimonieusement par le Ministère de la Culture aux orchestres et aux opéras régionaux... méritants ! Des conditions artistiques mises à l'obtention de ce label a découlé une conséquence souhaitée, mais pas garantie d'avance, je veux parler de la hausse spectaculaire du niveau des productions de l'ensemble de ces institutions.
Tout a commencé, on se le rappelle sans doute, avec la récompense décernée à l' « Opéra nouveau » de Lyon accouché sur une période d'un quart de siècle brillantissime par son patron Louis Erlo. Il avait fallu tout le poids et l'entregent du premier économiste de France, l'ancien Premier ministre et maire de Lyon Raymond Barre, pour emporter le morceau ! Avec son épouse d'origine hongroise, il fut l'un des rares hommes politiques de la Cinquième République à fréquenter assidûment ; et pour son seul plaisir, Opéras et salles de concerts. La contrepartie de cet effort consenti par tous était que la maison mère allait rayonner sur toutes les grandes villes de la région en y décentralisant certains de ses spectacles, qu'une troupe de jeunes chanteurs y serait constituée grâce à l'Atelier lyrique implanté en son sein, que toute une politique de formation du jeune public des écoles locales serait entreprise à partir d'une Maîtrise d'enfants confiée à Claire Gibault.
L'institution érigée en modèle devenait financièrement tripartite grâce à un cofinancement par tiers égal provenant de l'Etat, de la Région Rhône-Alpes et de la capitale des Gaules. Suivirent plus tard les Opéra du Rhin, de Lorraine, de Bordeaux, etc. Mais avec des bonheurs financiers divers et variés, l'Etat se montrant de plus en plus pingre et exigeant davantage des régions et des villes. A noter une exception dans le paysage lyrique de l'Hexagone, d'autant plus notoire que le niveau artistique y est exceptionnel, je veux parler du Capitole de Toulouse qui refusa jusqu'à ce jour de succomber au chant des sirènes parisiennes, son directeur Nicolas Joël, futur patron de l'Opéra de Paris, fondant son refus obstiné sur une jolie pirouette, certes non exempte d'orgueil : « comment voulez-vous que nous devenions nationaux alors que notre scène est déjà internationale ! »
Certains diront qu'il n'a pas mal aux chevilles. Mais après tout cela ne lui a pas si mal réussi... Et je ne parle pas de la carrière personnelle de Nicolas Joël metteur en scène : il suffit de suivre de près les saisons du Capitole pour comprendre qu'il s'agit là de l'un des théâtres lyriques qui comptent de par le monde. En témoignent nombre de ses coproductions avec des Opéras d'outre-Atlantique. La Salomé de Richard Strauss récemment à l'affiche à Toulouse est digne des plus grands festivals lyriques internationaux. D'ailleurs, un simple petit tour lyrique de l'Hexagone en cette fin de saison suffirait à démontrer la vitalité de la plupart de nos théâtre lyriques régionaux, de celui de Lyon qui affiche juste après une sublime Lulu d'Alban Berg une étonnante Mort à Venise, testament de Benjamin Britten, à celui d'Angers-Nantes qui reçoit le Tristan et Isolde d'Olivier Py à Genève.
Riche moisson aussi à Bordeaux, Nancy, Strasbourg, Nice, Marseille, Rennes ou Tours. A propos de ce dernier mené de façon exemplaire par Jean-Yves Ossonce, signalons que le Théâtre du Châtelet l'a invité à créer, du 18 au 24 juin, Pastorale, un opéra en quatre actes tiré de L'Astrée d'Honoré d'Urfé par Gérard Pesson. Juste reconnaissance du talent et des compétences. La France girondine va-t-elle nous venger enfin de siècles de jacobinisme colbertiste ? Souhaitons-le !
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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