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La Chronique de Jacques Doucelin - Faisons confiance aux musiciens

Eté pluvieux, été maussade, côté musique à l’égal de la météo. Il aura apporté son lot de disparitions compensé par des embellies festivalières comme la sublime et ultime – hélas ! – rencontre de Pierre Boulez et de Patrice Chéreau pour un De la maison des morts de Janacek, qui fera date dans les annales d’Aix-en-Provence et de l’art lyrique tout court. Ce dernier est en deuil de la grande Régine Crespin qui avait dispensé de brillants cours d’interprétation à l’Académie aixoise : notre dernière authentique diva internationale qui a suivi de près l’Américaine Beverly Sills et le ténor Jerry Hadley. Qui regrettera, en revanche, l’atroce Tikhon Khrennikov, redouté président de l’Union des compositeurs soviétiques sous Staline et ses successeurs, qui fit trembler des génies du calibre de Prokofiev, Chostakovitch ou Rostropovitch ?

Disparition discrète que celle de Pierre Jourdan qui vint à la musique par la réalisation télévisée. Il commença, en effet, avec le film du fameux Fidelio des Chorégies d’Orange. L’amitié qui le liait à Gabriel Dussurget, fondateur du Festival d’Aix, le persuada d’agir pour le chant français. Pour assurer la formation des jeunes interprètes, il fonda d’abord le Théâtre Français pour la Musique et Méhul, Auber, Meyerbeer et son Pardon de Ploërmel, Fromental Halévy et son Noé revécurent soudain en disque et en film. Pierre Jourdan trouva un lieu…impérial avec l’Opéra de Compiègne, théâtre de cour de Napoléon III, dont la défaite de 1870 interrompit la finition. De cette coquille vide, sans aide étatique, mais avec les conseils avisés du grand Giulini, il fit un haut lieu de l’art lyrique français où il sut alterner répertoire romantique et création contemporaine.

Qui osa célébrer en 1992 le centenaire de Darius Milhaud - honte à l’Opéra de Paris ! - avec son Christophe Colomb, commande de l’Opéra de Berlin en 1930 ? Pierre Jourdan qui donna en prime sa chance à un jeune baryton frais émoulu de Centrale, un certain Laurent Naouri, le Gabriel Bacquier de sa génération ! Flanqué de l’intraitable Irène Aïtoff, chef de chant à l’Opéra de Paris et accompagnatrice d’Yvette Gilbert, il faisait travailler le texte des ouvrages des mois durant en sorte qu’à Compiègne le surtitrage était devenu superflu ! Qui va succéder à ce passionné compétent ? Peut-être ce lieu magique achevé par ses soins va-t-il retourner à son sommeil séculaire. Ce serait mieux que de le livrer aux marchands du temple qui déjà se pressent…

Entre deux averses, la ministre de la Culture a dit sa volonté de « faire des choix et d’apprécier en fonction de leur nécessité culturelle, de leur coût et de leur fonctionnement » les projets d’envergure lancés par ses prédécesseurs comme « l’auditorium de Paris ». Saine réaction dont on veut croire qu’elle ne dissimule pas la volonté gouvernementale de pratiquer des coupes claires dans le budget de la culture ! Nous ne sommes pas a priori contre cette nouvelle salle pour peu qu’on lui donne les moyens financiers de remplir sa tâche. En effet, on parle beaucoup dans un souci de démocratisation de la culture auquel l’on ne peut qu’adhérer, de la nécessité d’amplifier la gratuité d’accès aux musées. Que l’on traite seulement la musique dite classique comme les arts plastiques. Qu’il n’y ait pas deux poids deux mesures : en quoi Debussy et Dutilleux seraient-ils plus « élitaires » que Cézanne et Picasso ? Que cesse cette hypocrisie !

Car, que demande-t-elle cette grande salle de 2.200 places ? Qu’on lui garantisse un public suffisant. Et l’on sait bien qu’il existe ce public pour peu qu’on se promène dans la France profonde : c’est lui qui alimente les pas si Folles journées que ça de Nantes comme la grosse centaine de festivals estivaux, de Saint-Céré à Prades en passant par La Chaise-Dieu, Beaune, Saintes, Saint-Bertrand de Comminges, La Vézère ou ceux du Périgord. Mais surtout, les musiciens professionnels sont au travail, chaque été, oeuvrant à qui mieux mieux à la formation du public de demain grâce à des stages et à des cours d’interprétation sur tout le territoire au gré des origines et des vacances de chacun d’eux. Là aussi, je dois prier les organisateurs de m’excuser de ne citer qu’un tout petit nombre d’entre eux.

Sur un tout petit territoire allant du Sud Vendée aux Deux-Sèvres, on peut citer deux expériences en exemple : dans le cadre grandiose de l’Abbaye de Celle-sur-Belle, un enfant du pays, le brillant cor solo de l’Orchestre National de France Hervé Joulain participe aux côtés de Rachid Safir et de Youri Bashmet à une académie avant de se joindre à ce dernier pour un concert. A moins d’une heure de route, à Damvix, au cœur du Marais Poitevin, la tribu musicale que forme la famille Bardon organise des stages de chant choral comme de violoncelle, ce dernier instrument n’attirant pas moins d’une soixantaine de Coréens hébergés à Fontenay-le-Comte. Cela pour démontrer que les professionnels sont à l’œuvre, qu’ils mouillent leur chemise partout en France, et de leur propre chef, sans rien attendre de l’Etat, pour préparer le public de demain en formant leurs futurs auditeurs.

Ce ne sont pas tant des subventions qu’ils attendent de leurs tutelles, mais des encouragements, une reconnaissance de leurs efforts dont la fameuse grande salle pourrait être l’un des témoignages pour peu que les Ministères de la Culture et de l’Education s’unissent pour organiser quelques concerts de prestige dans l’année pour les jeunes scolaires. Ça n’est pas une fortune, ni la mer à boire, mais un accompagnement que les musiciens sont en droit d’attendre. Ne les décevons pas. Et surtout, ne préférons pas une usine à gaz de plus à l’initiative des hommes.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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