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La Chauve-Souris à l’Opéra Comique - La vengeance est un plat qui se mange froid

L’Opéra Comique présentait une création pour la tardive ouverture scénique de sa saison du Tricentenaire : La Chauve-Souris, dans une nouvelle adaptation en français.  La prose si futée de Pascal Paul-Harang essaye de se substituer  à celle réglée comme une mécanique d’horlogerie  par Karl Haffner et Richard Genée. Rien n’y fait, du moins pour moi, et malgré Meilhac et Halévy, le français n’entre pas chez Johann Strauss. « Chacun à son goût ».

Mais au moins le public se régale, suivant ligne par ligne une action désopilante qui ne demande que du brio et de l’à propos, ce dont Paul-Harang ne manque pas. On s’esclaffe devant les bredouillages décomposés-recomposés de Maître Miro : l’impayable Christophe Mortagne vaudrait à lui seul d’aller visiter le spectacle de Favart. On admire les translations savoureuses de l’original allemand au français, même si parfois elles se plient difficilement dans le débit straussien, affaire de langue indémêlable. Le Frank de pure comédie de Franck Leguérinel lui emboîte le pas avec la faconde qu’on lui sait.

Ivan Alexandre place l’action aujourd’hui, Sabine Devieilhe prend la voix de Léonie Bathiat (Arletty)pour son Adèle brillantissime, vrai miracle vocal de la soirée, Philippe Talbot, Alfred appelé à la dernière minute pour remplacer Frédéric Antoun, joue son Roberto Alagna en pimentant ses réparties de quelques citations phares de l’Opéra romantique français, Chiara Skerath donne, y compris dans l’aigu de son joli soprano, une fragilité sentimentale à sa Rosalinde qui n’est pas sans rappeler celle de la Christine de La Règle du Jeu, Florian Sempey qui guette le moment de sa revanche campe un Falke où passe l’ombre des incarnations diaboliques des Contes d’Hoffmann, et Stéphane Degout compose avec art un Eisenstein assez hautain, plutôt expéditif, explicitement dévié du Conte des Nozze comme l’avoue son « perdono, perdono » au final.

A vrai dire on attendait plutôt Ivan Alexandre dans les Noces ou dans les Contes qu’ici. Le I tire au Boulevard ce qui stylistiquement ressort plus de la comédie – avec une pointe de vaudeville. Le II, brillant, tombe lui parfaitement dans les cordes et les codes du metteur en scène, animé par une syntaxe virtuose, avec son Orlofsky enfant gâté, revenu de tout, enlaçant son nounours géant, mais dormant tout de même trop. Successivement minet-marin, sosie de Kim Jong-un, où travelo-Bartoli pour un inénarrable numéro vivaldo-grotesque, avant de finir en Justin Bieber à la fourrure au III, Kangmin Justin Kim, déjà remarqué à Nantes pour son émouvant Menelao de l’Elena de Cavalli, est le héros de la soirée.

 Mais c’est au III que l’habileté du metteur en scène éclate, imposant un rythme subtilement irrégulier à cet acte souvent faible. Faire de Frosch un quart d’heure mémorable est une tradition à Vienne même – les vieux routiers s’y collent pour des heures de gloire. Cette fois Ivan Alexandre a voulu un numéro digne d’un stand up : Atmen Kelif fait son numéro avec un talent ravageur – et appuie sur la suppression de la subvention municipale dont Les Musiciens du Louvre viennent de faire les frais, les laissant à la rue – puis l’ivresse reprend, avec un rythme marqué.

Dans toute cette folle nuit, Ivan Alexandre met quelques rayons de lune : la Csardas est plus nostalgique que sensuelle, le côté barcarole qui ouvre la seconde partie de l’acte II, après qu’il ait été interrompu par un inénarrable numéro du patron de la maison commentant une soi-disant panne d’électricité avec la voix du Général, dévoile soudain des espaces où la comédie prend le dessous. C’est bien vu. Mais Alexandre place également dans le flot des dialogues quelques citations ambiguës – ici Rosalinde se prends pour Carmen, là quelques mots d’Arkel résonnent avant que la vengeance ne se dévoile, soudain Alfred mime Siegfried. Univers foisonnant, qu’on n’en finirait pas de décrypter, mais qui n’empêche jamais la soirée d’être d’abord une fête. Marc Minkowski, de sa battue alerte, enflamme le timing de la comédie et y met un panache qui rapproche Strauss d’Offenbach. Dans les temps difficiles que traversent Les Musiciens du Louvre, c’est d’autant plus admirable.

Jean-Charles Hoffelé

Johann Strauss : La Chauve-Souris – Paris-Opéra Comique – 23 décembre, prochaines représentations les  25, 28, 30 décembre 2014 et le  1er janvier 2015. www.concertclassic.com/concert/la-chauve-souris-johann-strauss

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