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Katia Kabanova à l’Opéra de Lyon – La cabane à vodka – Compte-rendu

 
On boit beaucoup chez les Kabanov, dans leur immeuble glauque parcouru d’hommes en déshérence, la bouteille à la main. Ils titubent entre les escaliers et les étages, ils se saoulent sous la douche et peinent à trouver la bonne jambe de leur pantalon. Cet alcool qui explose les barrières et gomme toute morale serait-il l’origine de la violence ?
Aux fenêtres du HLM décati, les femmes restent plus sobres. Elles ont d’autres rêves. S’envoler, courir dans la nature, boire la lumière du printemps, rire de la concupiscence qu’elles inspirent à ces hommes cabossés.
 

© Jean-Louis Fernandez
 
Durant l’ouverture, tout est déjà dit. La communauté de l’immeuble est réunie autour d’un cadavre que les légistes vont emporter. La frêle Katia a cherché l’amour au-delà de l’horizon bouché. Comment en est-elle arrivée là ? Son histoire va se dérouler à l’envers, se démarquant de L’Orage d’Alexandre Ostrovski dont Janáček a tiré ce chef-d’œuvre (1921) où Puccini semble croiser le fer avec Ernst Krenek.
 
L’équipe de la nouvelle production lyonnaise est entièrement féminine, de la direction d’orchestre, tendue et luminescente, d’Elena Schwarz, à la mise en scène et au décor des Polonaises Barbara Wysocka et Barbara Hanicka. L’opéra, joué sans entractes, dure une heure trente, l’équivalent d’un film de Ken Loach. Les costumes de Julia Kornacka lui empruntent sa vision d’un lumpenprolétariat achetant ses doudounes sans manches, ses jeans fatigués et ses sweats adolescents auprès d’une fast fashion esclavagiste. Morne quotidien d’une Europe exténuée par les crises où Katia et son amie Varvara ont des relations d’adolescentes ennuyées. Même la marâtre Kabanicha semble être plus accablée que salope. Et il y aura peu de bestialité dans le jeu bien fouillé des acteurs, juste des étreintes que l’alcoolémie rend pataudes.
 
© Jean-Louis Fernandez
 
La Katia de Corinne Winters et le Boris d’Adam Smith, forment un couple lumineux. Amants en scène et mariés dans le vraie vie, ils peuvent se permettre des émois jamais obscènes. Le vaillant gaillard prenant à bras le corps la frêle jeune fille pour l’emporter dans l’obscurité, en un geste d’une tendresse inouïe, reste une image marquante. Corinne Winters, déjà Katia la saison dernière à Genève, en est l’incarnation rêvée. Son chant, d’abord hésitant et timide, éclot puis s’enivre de lui-même. Le timbre solaire d’Adam Smith suit la même progression, mais il ne sera en rien la bête sexuelle attendue par le livret.
Le casting d’élite choisit par Richard Brunel reste sur les mêmes sommets, du pleutre Thikon d’Olivier Johnston à la rocailleuse Natascha Petrinsky en Kabanicha, de la pétillante Varvara d’Ena Pongrac au vaillant Vanya de Benjamin Hulett. Sans oublier un vétéran, Sir Willard White (Dikoy) qui, à soixante-seize ans, démontre qu’un timbre d’opéra peut rester bien vert.
 
Elena Schwarz © Mathias Bothor
 
Chacun sert avec passion cette partition à la luxuriance désespérée. Le regard, féminin plus que féministe, apposé sur Katia Kabanova, n’exhibe pas une obscénité facile, il s’intéresse plutôt aux rapports hommes femmes dans un espace dénaturé par une violence déjà advenue. Barbara Wysocka insiste sur le désir salvateur. Ce sont des pissenlits soudainement poussés entre les dalles du Kindergarten. C’est, dans l’escalier, une cascade végétale où les cheveux de Mélisande seraient devenus un lierre monstrueux. On songe alors à ces images des immeubles de Pripiat repris par la nature post Tchernobyl.
Ici, le tragique s’est fait résilient. Katia ne se noiera pas dans la Volga, seule une eau lustrale, probablement irradiée, précipitera sa fin. Mais elle ressuscitera. Le suicide de cette femme, chue un instant et déjà debout, esquisserait presque la promesse d’une nouvelle saison.
À l’Opéra de Lyon le même tandem Barbara Wysocka - Barbara Hanicka proposera une nouvelle production de La fanciulla del West en mars et avril 2024.
Nous voilà déjà mis en appétit.

 
 
Vincent Borel

Janáček : Katia Kabanova – Lyon, Opéra 28 avril ; prochaines représentations les 2, 4, 7, 9, 11 & 13 mai 2023
www.opera-lyon.com/

Photo © © Jean-Louis Fernandez

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