Depuis le printemps dernier, le festival L’Esprit du Piano consacre sa première partie (en juin) aux interprètes de la nouvelle génération uniquement, ce qui ne signifie en rien que le second volet, automnal, de la manifestation les exclut. Ainsi, à côté d’artistes aussi considérables que Nikolaï Lugansky, Elisabeth Leonskaja, Sir András Schiff ou, côté jazz, Jacky Terrasson, Paul-Arnaud Péjouan, directeur artistique, a fait place lors de cette 14e édition à de nouveaux talents plus que prometteurs, tels que Ryan Wang (magnifique artiste, qui a d’ailleurs obtenu le Premier Prix et le Prix du Public du Concours de Piano Animato à Paris peu après son récital bordelais), Alexandra Dovgan ou Julius Asal.

Quelques jours après le récital d’András Schiff, c’est un élève de ce dernier que l’on découvrait à L’Esprit du Piano puisque Asal (né en 1997) étudie depuis 2021 auprès du maître d’origine hongroise à la Kronberg Academy.
Pas décidé, blondeur souriante, regard pétillant : le jeune homme entre en scène avec un bonheur visible – « détail » d’importance ... – pour un programme bien construit, qui aura su tenir en haleine l’auditoire d'un théâtre de la Pergola plein à craquer
 

© Michael Reinicke
 
Les notes et entre les notes
 
À la jeunesse la jeunesse : c’est par la 1^ère Sonate en fa mineur op. 2/1 de Beethoven qu’Asal ouvre son récital. Réalisation d’un compositeur d’à peine 25 ans, entre deux époques, marquée par Haydn, Mozart et Clementi (ô combien !), mais déjà riche de tant promesses ... Dès le commencement de l’Allegro, piaffant, énergique sans brutalité, le pianiste est au cœur de son sujet. Franchise de ton, variété des attaques : comment ne pas se laisser prendre par une entrée en matière aussi réussie ? Après un Adagio secret, tendre et d’une finesse sans maniérisme dans la réalisation de ses traits, le Menuetto offre sans doute le moment le plus singulier de l’ensemble, comme en suspend, avec un je-ne-sais-quoi de fantomatique – Asal est de ceux qui savent lire les notes aussi bien qu’entre les notes ... La formidable énergie du finale traduit toute l’impatience du jeune compositeur et conquérant – Beethoven s'est lancé à l'assaut de Vienne depuis peu – avec une parfaite sûreté de style.
 
Hypnotique poésie
 
Dans la Suite op. 14 de Bartók, la richesse de toucher de l'artiste s’affirme de manière plus évidente encore – la belle acoustique, claire mais aucunement sèche, de la Pergola la met bien en valeur, tout comme un superbe Steinway. De ce « folklore imaginaire » né de l’imagination du Hongrois, il tire tout le suc avec une mobilité de jeu, une vigueur rythmique et une variété des coloris très stimulantes pour l’oreille. Un sens harmonique affirmé aussi, particulièrement prégnant dans l’Allegro molto et le Sostenuto conclusif, hypnotique. 
 
 

© Michael Reinicke

Un regard différent
 
3^ème Sonate de Brahms pour conclure : Julius Asal propose une vision complètement à rebours de celles, fréquentes, où le souffle symphonique emporte tout sur son passage. Délibérée, la relative retenue de propos n’a rien de timide toutefois ; la vie de l’interprétation tient à l’attention que le musicien prête à des détails insoupçonnés, à sa manière d’éclairer les arrière-plans de la musique. Aucune maniaquerie dans sa démarche ; plutôt l’impression – heureuse – d’entendre œuvrer un chercheur de secrets. Quelle simplicité, quelle évidence poétique dans l’Andante ; et quelle compréhension intime, et émouvante, du « regard en arrière » dans le 4e mouvement, après un Scherzo d’une souplesse et d’une mobilité d’elfe. Aussi fouillé que le premier épisode, le finale, sans le moindre effet de manche, conclut une exécution captivante de bout en bout. Le public ne s’y trompe pas : Asal le gratifie de deux préludes de Rachmaninoff d’une intensité et d’une noblesse rares.
Un artiste à suivre qui nous proposera bientôt (chez DG) un enregistrement mêlant Scarlatti et ... Scriabine. Pas ordinaire ; comme son talent. 
 
Alain Cochard
 

 
Bordeaux, Théâtre La Pergola, 29 novembre 2023 

Pour en savoir plus sur Julius Asal : en.julius-asal.com/